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du festin, faisant l’office d’échanson, on l’eût prise pour une déesse. » Enfin il était dit, dans la donnée épique, qu’Attila serait aveugle dans son affection, afin que Gudruna pût couronner sa vengeance par un suprême attentat. En effet, elle le flatte, elle l’enivre de fausses caresses. « Souvent, dit le poème déjà cité, on les vit s’embrasser comme deux amans sous les yeux des chefs. » Enfin, une nuit qu’il dormait profondément dans ses bras, appesanti par le vin qu’elle lui avait versé, elle se lève furtivement, introduit dans la chambre Aldrian, fils de Hagen qu’elle gardait près d’elle comme un instrument de meurtre, et à eux deux ils plongent une épée dans le cœur du roi. Au froid de l’acier, Attila se réveille, et, apercevant sa femme et le jeune neveu de sa femme :


« Qui de vous m’a frappé? dit-il. Avouez-le-moi en toute franchise. Qui m’a tué? car je sens que ma blessure est mortelle et que ma vie s’échappe avec mon sang.

« GUDRUNA. — La fille de Crimhilde ne te mentira pas. C’est elle qui t’a tué, et celui-ci L4a aidée à te faire une blessure dont tu ne dois pas guérir.

« ATTILA. — Qui t’a inspiré cette fureur, ô Gudruna? Il est mal de tromper un ami qui se fie à vous. Pourtant je t’aimais ! C’est avec l’espoir du bonheur que je briguai ta main, lorsque tu devins veuve et que je t’amenai régner avec moi dans mon royaume. On te disait altière, impérieuse, et je ne l’ai que trop éprouvé. Tu vins donc ici avec tout l’attirail d’une reine. Les plus illustres Huns te faisaient cortège. Des bœufs étaient échelonnés en abondance sur la route, et des moutons aussi ; les peuples s’empressaient de fournir toutes les provisions nécessaires à ton voyage.

« Je te donnai pour cadeau de noces trente cavaliers équipés et vingt belles vierges destinées à te servir; ce que je te donnai en or et en argent, personne ne pourrait le compter. Et comme si tout cela n’était que néant, tu ne te montras point satisfaite; c’était mon royaume que tu voulais, et c’est pour cela sans doute que tu m’as tendu ce piège. Rien de ce qui venait de moi ne semblait te plaire; tu faisais sécher ta belle-mère de douleur. Ah ! depuis ce fatal mariage, aucun de nous n’a connu la paix !

« GUDRUNA. — Tu mens, Attila! Quoique je me soucie peu de récriminer sur le passé, je te dirai que c’est toi qui as troublé la paix. Ta maison était une maison de discorde : les frères s’y battaient contre les frères, les amis contre les amis, et la moitié de ta famille appartient déjà aux filles de l’enfer...

« Il n’en fut pas ainsi du temps de mon premier mari : quand celui-là mourut, un amer chagrin s’empara de moi. Il était triste assurément de porter à mon âge le nom de veuve; mais ce fut pour Gudruna un affreux supplice d’entrer vivante dans la maison d’Attila. Un héros l’avait possédée, elle le pleure encore, et ses larmes ne tariront point...

« ATTILA. — Cesse, ô Gudruna, et écoute-moi. Si tu eus jamais quelque pitié dans l’ame, prends soin de mes funérailles, fais que mon cadavre ne reste pas sans honneurs.

« GUDRUNA. — J’achèterai un navire avec un cercueil peint, j’enduirai un