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que la tradition ostrogothique, consacrée aux événemens de l’Italie et à la glorification de la maison royale des Amales, ne conserve pas ici toute sa pureté, et qu’elle se trouve mélangée d’élémens occidentaux sans liaison apparente avec ceux-ci. Ainsi le poème de Béowulf nous parle du roi burgonde Ghibic et de son fils Gunther, qui demeuraient sur le Rhin, et d’un trésor magique gardé par un dragon au fond d’une caverne. Or Ghibic et Gunther ne sont pas des personnages inventés. Ghibic est cité par la loi des Burgondes comme un des anciens rois de cette nation, et quant à Gunther, que la même loi appelle Gundaharius, on reconnaît aisément en lui le Gunthacaire ou Gondicaire des écrivains romains, ce roi de Burgondie qui essaya d’arrêter les bandes d’Attila au passage du Rhin, près de Constance, en 452. Les poèmes anglo-saxons nous fournissent donc le premier indice d’une tradition occidentale qui, se soudant à la tradition des Germains de l’est, adoptait aussi Attila.

Mais, qui le croirait ? c’est au milieu des frimas du pôle, en Islande et en Scandinavie, que les traditions sur le grand roi des Huns furent recueillies avec le plus d’empressement peut-être et de curiosité; ce sont des scaldes du Groënland norvégien qui nous en ont transmis les souvenirs les plus fidèles dans deux poèmes intitulés Atla-Mâl et Atla-Quida, Récit et Chant d’Attila, que d’autres morceaux poétiques non moins précieux développent et complètent. Les chants scandinaves où il est question d’Attila forment plus du tiers de l’Edda de Saemund, et nous savons qu’ils existaient déjà sous leur forme actuelle dans la première moitié du IXe siècle et probablement à la fin du VIIIe. Le souvenir des Huns, qui ne firent pourtant qu’une courte apparition au bord de la Baltique, était vivace en Scandinavie. On y appela long-temps Hûnalant, terre des Huns, les contrées situées à l’est de cette mer, et aujourd’hui encore les paysans allemands donnent le nom de Hunnenbette, lit des Huns, aux tumuli que l’on trouve en assez grand nombre dans les plaines de la Pologne et de la Lithuanie. Toutefois les scaldes du Nord, à en juger par les pièces qui nous sont restées, choisirent, de préférence à la tradition ostrogothique, cette autre tradition dont je signalais la trace, il n’y a qu’un instant, dans les poèmes anglo-saxons de Béowulf et du Chant du Voyageur. Reléguant au second rang Théodoric et les héros de l’Italie, ils s’attachèrent à mettre en relief ceux du Rhin qu’ils connaissaient moins imparfaitement ou qui les intéressaient davantage. Nous classerons pour cette raison les chants de l’Edda et les Sagas qui s’y rapportent parmi les matériaux de la tradition occidentale.

Les poèmes de Théodoric atteignirent, au IXe siècle, le plus haut degré possible de popularité, soit dans les pays d’idiome teutonique, soit dans ceux où, comme en France, s’opérait une révolution de langue