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LE PROBLÈME DE 89.

besoin de sa cause, sur les brûlantes questions qui allèrent susciter au fond des provinces, jusqu’alors parfaitement paisibles, les premières résistances sérieuses à la révolution. Il s’arrête davantage sur la confiscation des biens du clergé ; mais il attache un si grand prix à ce que rien ne vienne trancher avec la couleur spiritualiste et religieuse dont il revêt la première partie de son tableau, que cette préoccupation systématique va jusqu’à fausser, en ce qui touche ce grand acte de spoliation, la rectitude toujours si éclairée de son jugement.

La propriété résultant, selon le savant professeur, du rapport des choses avec les personnes, le clergé avait pu posséder sous la monarchie féodale, parlementaire et absolue, parce qu’il était un ordre dans l’état et une personne morale : il y avait alors un lien possible entre la chose et la personne, et la propriété du clergé reposait sur ce rapport ; mais la révolution de 1789 avait détruit cette base fondamentale de son droit de propriété, car, par la déclaration des droits et par la loi sur les assemblées de bailliages, le clergé avait cessé de former un ordre, et le principe d’individualité avait pris la place du principe de corporation. « Les membres du clergé n’étaient plus que des individus, citoyens et fonctionnaires publics. Le rapport de la chose à la personne, qui avait dans le passé soutenu la propriété, n’existait plus et n’était plus possible ; donc les biens avaient perdu leur légitime propriétaire. Le propriétaire alors, quel était-il ? L’état, par droit de déshérence, car l’état comprend toutes les corporations dans son vaste sein, et recueille nécessairement la succession des personnes morales qui ne sont plus. » M. Laferrière déclare qu’à ses yeux ce principe est la raison décisive, l’ultima ratio de la main-mise de l’état et qu’il élève le fait révolutionnaire à la hauteur du droit.

Il y a dans cette série de déductions d’étranges lacunes et des affirmations plus étranges encore. Que la nation eût le droit, en changeant sa propre constitution, de dépouiller le clergé de ses attributions politiques et de cesser de le considérer comme un ordre, je l’accorde ; qu’elle eût même la faculté de lui refuser pour l’avenir la qualité de corporation et le droit garanti à toute personne morale de recevoir et de posséder, on peut l’accorder encore ; mais je demande au savant professeur comment un changement de situation qui n’affecte que l’avenir pourrait, sans une rétroactivité monstrueuse, atteindre des droits antérieurement créés et infirmer des propriétés possédées durant des siècles sous la garantie de vingt générations ? La loi peut refuser à des intérêts collectifs le droit de se constituer en personne civile, elle peut même, dans un intérêt public, à l’expiration du délai fixé à une société autorisée, ne plus lui reconnaître cette qualité pour l’avenir ; mais ce refus donnerait-il à l’état le droit de s’emparer par déshérence des propriétés collectivement acquises à l’ombre de sa