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en Italie, se confondit presque avec la mort du conquérant. Rien dans le vasselage de ces peuples fiers sous le roi des Huns n’avait été de nature à blesser leur orgueil et à leur imposer l’oubli. D’abord ils avaient partagé ce vasselage avec toutes les races barbares de l’Europe et de l’Asie occidentale; puis cette sujétion avait été pour eux particulièrement douce et honorable. On peut lire dans Jornandès de quelles distinctions Attila entourait les chefs des grandes tribus germaines, Ardaric, roi des Gépides, Valamir et Théodemir, rois des Ostrogoths : placés dans ses conseils et à la tête de ses armées, ils étaient traités plutôt en amis et en alliés qu’en sujets. Quant aux conquêtes des Germains en Italie, aux fondations d’Odoacre et de Théodoric, quoique opérées après la mort d’Attila, elles ne se firent pourtant point sans lui. C’était lui qui avait suscité ces vastes projets, rassemblé ces masses armées au bord du Danube, et quand plus tard elles en partirent pour leur propre compte, c’était encore son génie qui les guidait. Odoacre, suivant toute apparence, avait été son soldat, et Théodoric était le fils d’un de ses capitaines. Sa mémoire resta donc justement attachée à ces grands événemens comme s’il y avait pris réellement part. Ce sentiment se retrouve dans la tradition germanique. Par une confusion où la reconnaissance a fait oublier la chronologie, elle réunit invariablement le nom d’Attila au nom de Théodoric, et même à celui d’Hermanaric-le-Grand, oubliant que le roi des Huns était mort huit ans après la naissance du premier, et qu’il ne naquit que vingt-cinq ans après la mort du second. Dans ces vagues souvenirs où, comme on voit, l’histoire n’a guère été respectée, Attila conserve toujours cependant sa supériorité historique; sa figure domine celle de tous les chefs germains : Théodoric lui doit son royaume, Hermanaric et Odoacre leurs défaites.

Les noms de Théodoric, d’Hermanaric et d’Odoacre nous indiquent tout d’abord que les traditions dont je parle, lesquelles constituent le fond de la grande tradition germanique sur Attila, sont nées dans la Germanie orientale, parmi les tribus qui prirent part au renversement de l’empire d’Occident, particulièrement chez les Ostrogoths, et qu’elles furent consignées dans des poèmes chantés, dont les aventures de Théodoric et sa guerre contre Odoacre faisaient le sujet principal. Si, comme tout porte à le croire, ces poèmes, destinés à la glorification des Amalungs ou princes de la maison royale des Amales, naquirent chez les Ostrogoths, ce n’était qu’un épisode que ce peuple ajoutait à l’épopée de son histoire, qui se composait, comme on sait, de chants nationaux remontant de siècle en siècle jusqu’à l’époque demi-fabuleuse où la race gothique, divisée en trois groupes de tribus, avait quitté la Scandinavie, montée sur trois vaisseaux. Chaque grande circonstance dans la vie du peuple ostrogoth avait son chant particulier