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que Mélusine rencontre Raymondin ; enfin c’est dans la forêt de Brocéliande, dont celle de Lorge comprend encore quelques débris, qu’habitait l’enchanteur Merlin. Là mieux que partout ailleurs peut-être se sont conservées les traces des antiques superstitions ; on disait encore au XVIe siècle que les serpens, les animaux dangereux et les mouches qui tourmentent les troupeaux ne pouvaient vivre sous les ombrages de Brocéliande ; que la fontaine de Bellenton, auprès de laquelle le chevalier Pontus fit sa veille des armes, répandait une eau magique ; que, quand la sécheresse désolait le pays, le sire de Montfort venait puiser de cette eau pour la répandre sur une pierre voisine, et qu’avant la fin du jour « la terre et tous les biens estant en icelle estoient arousez » par des pluies fécondantes. Ce caractère sacré dont la forêt de Brocéliande était investie par la tradition avait placé ceux qui l’habitaient dans une position tout exceptionnelle, et ils étaient exempts d’impôts et de toutes redevances féodales. Tout ce qui se rattache aux droits d’usage, à l’aménagement, a été étudié par M. Maury avec le même soin que la partie historique et légendaire, et son mémoire est un traité complet qui présente, à côté de la partie érudite, d’utiles renseignemens sur la sylviculture et l’administration forestière depuis Charlemagne jusqu’à notre temps.

Dans un autre ordre d’idées, le travail de M. Bourquelot sur la lycanthropie mérite également d’être distingué. À côté du dogme de la métempsychose et des métamorphoses de la mythologie païenne, il existe chez tous les peuples une tradition qui attribue à certains hommes le pouvoir de changer les autres et de se changer eux-mêmes en diverses espèces d’animaux et principalement en loups. On trouve les traces de cette croyance dans Hérodote, dans Pomponius Mêla, dans Pline ; ces écrivains, il est vrai, la traitent de fable, mais, à la manière dont ils en parlent, il est évident qu’elle était généralement acceptée par les peuples. L’avènement du christianisme la modifia sans la détruire ; les aventures d’hommes et de femmes changées en bêtes sont très nombreuses au moyen-âge, et les chroniqueurs se montrent sur ce point beaucoup plus crédules que les écrivains de l’antiquité. Vincent de Beauvais, entre autres, dans le Speculum naturale, parle de deux femmes qui tenaient, au XIe siècle, une auberge dans les environs de Rome, et changeaient leurs hôtes en chevaux, en ânes ou en pourceaux, pour les vendre au marché. Les warouts, vairous, warous, c’est-à-dire les loups-garous, les hommes-loups, les lycanthropes, occupent dans les légendes, les poèmes et les romans du moyen-âge, une place importante. Ce qu’il y a de plus bizarre et de plus triste en même temps, c’est qu’une foule d’individus s’imaginèrent sérieusement qu’ils avaient le pouvoir de se changer en loups-garous, et que ces malheureux, poursuivis par la justice, périrent victimes de leurs propres hallucinations et de l’ignorance de leur temps. Les lycanthropes, qu’on accusait, comme les sorciers, d’entretenir commerce avec le diable, étaient punis, comme eux, du supplice du feu. Cette mort, toute cruelle qu’elle fut, n’était que trop justifiée par la nature des crimes qu’on leur imputait de la meilleure foi du monde, et que la croyance à ces transformations rendait souvent très vraisemblables. M. Bourquelot cite plusieurs arrêts curieux rendus contre de prétendus loups-garous, entre autres en 1521 par le parlement de Besançon, et en 1574 par le parlement de Dôle. Le 3 décembre 1573, le parlement de Franche-Comté donna un règlement pour la chasse des