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jusqu’à la renaissance. Il a traité des constructions civiles, religieuses et militaires, des meubles, des bijoux, de la peinture, de la sculpture, des monnaies. Considérée de ce point de vue et avec cet ensemble, l’archéologie est, à proprement parler, l’histoire de la civilisation par les monumens, et si, dans le moyen-âge, cette civilisation est incomplète sous le rapport de la science, il est juste de reconnaître que, sous le rapport de l’art et du luxe, elle est souvent au niveau de notre temps. En ce qui touche l’architecture religieuse, nous ne pouvons aujourd’hui qu’admirer, imiter et nous avouer vaincus; sur bien d’autres points, quand nous n’admirons pas, nous nous étonnons encore. De même que dans les mœurs l’extrême charité touche à l’extrême barbarie, de même, dans les habitudes de la vie, la rudesse et la simplicité touchent au raffinement et à la magnificence. Quelque peu explicites que soient les documens qui nous sont parvenus sur la période gallo-romaine, on a cependant tout lieu de croire qu’à cette date, dans la Gaule, l’or et l’argent ouvrés ou monnayés étaient très abondans, et l’on cite, entre autres exemples, les cent dix mille livres pesant d’or que l’armée du consul Cépion enleva dans le pillage de la seule ville de Toulouse.

Aux Romains succédèrent les Barbares, qui emportèrent comme eux d’immenses quantités de métaux précieux. Cependant on vit, dans les siècles qui suivirent immédiatement les invasions, l’or et l’argent reparaître avec abondance et sous toutes les formes. Les rois, les évêques, les grands seigneurs d’une part, les trésors des abbayes et des églises de l’autre, possédaient en vaisselle, en services de table, en objets consacrés au culte, des richesses d’une valeur inappréciable. Charlemagne avait des tables d’or et d’argent massif sur lesquelles étaient représentées Rome, Constantinople, et les régions de l’univers alors connu. Quand Lothaire, sur le point d’être attaqué par ses frères dans la ville d’Aix-la-Chapelle, pilla le trésor de l’empereur, il brisa, pour en distribuer les débris à ses troupes, un immense plat d’argent sur lequel l’artiste avait figuré en relief l’image du monde, le soleil et les astres. Les inventaires des rois de France signalent à chaque page de véritables merveilles en fait d’art : ce sont des nefs d’or ou d’argent émaillé, soutenues par des hommes sauvages, des oiselets en façon de coupes, des hanaps de fin or reluisant, des sirènes, des êtres fabuleux de l’antiquité païenne ou du monde fantastique rêvé par le moyen-âge. Dans ces temps reculés comme de nos jours, Paris, la ville du luxe et du goût inventif, avait le monopole de ces splendides futilités, et ses orfèvres, qui formaient le plus riche et le plus honoré des dix grands corps de métiers, portaient aux extrémités du monde connu les produits de leur ingénieuse industrie. L’un des religieux que le pape Innocent IV et saint Louis envoyèrent en 1252 au khan des Tartares pour le convertir, Guillaume de Rubruquis, raconte, dans la relation de son voyage, qu’il trouva à Karakoroum, résidence du khan, un orfèvre parisien du nom de Guillaume Boucher, qui s’était fixé auprès de ce prince, pour lequel il avait fabriqué une fontaine jaillissante du poids de trois mille marcs d’argent. Cette fontaine se composait d’un grand arbre au pied duquel étaient quatre lions et des serpens dorés dont les queues s’enlaçaient autour de l’arbre. La gueule des lions jetait du lait de jument; les serpens, au nombre de quatre, versaient l’un du vin, l’autre du cara-cosmos; le troisième, une sorte d’hydromel nommé boll; le quatrième, de la téracine, liqueur faite avec du riz. Un ange