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lutte des passions mondaines que propre à exprimer les élans sublimes et la sérénité des sentimens religieux. Or on n’est point un grand artiste ni un génie vraiment supérieur, si, dans un instant donné de la vie, on ne trouve pas au fond de son cœur cette note profonde dont la sonorité mystérieuse rayonne au-dessus de l’intellect et nous remplit de terreur ou de béatitude. C’est par l’opéra de Moïse que Rossini a prouvé qu’il était de la famille des vrais génies.

De tous les compositeurs dramatiques qui ont paru depuis la naissance de l’opéra, c’est-à-dire depuis le commencement du XVIIe siècle, l’auteur du Barbiere di Siviglia est incontestablement le plus extraordinaire de tous. Si Mozart lui est supérieur par l’universalité de son génie, par la science des procédés, par la grâce et l’élégance exquise des formes, si Gluck plonge plus avant dans les profondeurs de la passion et se maintient plus constamment à la hauteur de son style pathétique, si Weber a des couleurs plus pénétrantes et des reflets plus mystérieux, aucun de ces maîtres n’égale la fécondité et la variété d’accens qui distinguent le compositeur italien. Rossini a parcouru presque toute l’échelle des passions humaines, et, s’il n’a pas réussi à exprimer d’une manière souveraine les sentimens nobles et tempérés de l’ame, ce qui est le comble de l’art, il a frappé simultanément de sa main flexible et puissante les deux notes extrêmes du clavier, il a fait jaillir à la fois le rire de Beaumarchais et les larmes de Shakspeare. Il n’y a pas entre le Don Juan et les Nozze di Figaro de Mozart le contraste qui existe entre il Barbiere di Siviglia et Guillaume Tell ou Moïse. Rossini est donc le compositeur dramatique le plus varié et le plus fécond qui ait jamais existé et le seul musicien qui ait complètement justifié cette profonde observation que Platon prête à l’un des familiers de Socrate, « qu’il appartient au même poète de composer des tragédies et des comédies. « 

Ce serait un trop long commentaire que de relever une à une toutes les beautés que renferme l’admirable partition de Moïse. Est-il bien nécessaire en effet de faire remarquer la plénitude et la vigueur de l’introduction, ainsi que le beau chœur sans accompagnement Dieu de la paix. Dieu de la guerre! le duo si connu et si charmant entre Aménophis et Anaï, dont l’andante à six-huit est d’une expression adorable; le duo entre Anaï et sa mère Marie, d’un accent plus intime, et qui n’est pas sans quelque analogie avec le duo des deux femmes qui se trouve dans Otello, et le finale du premier acte, d’un effet si puissant et si clairement construit, que l’oreille peut saisir les moindres détails de cette riche harmonie? Le second acte s’ouvre par la belle introduction en ut mineur, dont les lugubres ondulations et les modulations passagères semblent reproduire les ombres de la nuit profonde traversées de fugitives clartés qui en accroissent l’horreur. Et que dire de l’invocation chantée par Moïse — Arbitre suprême du ciel et de la terre! etc., — et de la reprise du chœur qui en forme la conclusion? C’est la statue de Michel-Ange animée tout à coup par un musicien aussi sublime que le grand artiste florentin. Quant au quintettiO toi dont la clémence — qui suit l’invocation, c’est tout simplement un morceau divin. Le duo pour ténor et basse, que Rubini et Tamburini ont rendu si célèbre, Parlar, spiegar, est-il vraiment digne de l’admiration qu’il a toujours excitée au Théâtre-Italien? J’avoue sincèrement