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Tout est bien, dites-vous, et tout est nécessaire !


s’écriait Voltaire dans son poème ;


Quoi ! l’univers entier, sans ce gouffre infernal.
Sans engloutir, Lisbonne, eût-il été plus mal ?

Je désire humblement, sans offenser mon maître.
Que ce gouffre enflammé de soufre et de salpêtre
Eût allumé ces feux dans le fond des déserts.
Je respecte mon Dieu, mais j’aime l’univers.
Quand l’homme ose gémir d’un fléau si terrible.
Il n’est point orgueilleux, hélas ! il est sensible.
Les tristes habitans de ces bords désolés.
Dans l’horreur des tourmens, seraient-ils consolés.
Si quelqu’un leur disait : Tombez, mourez tranquilles !
Pour le bonheur du monde on détruit vos asiles ;
D’autres mains vont bâtir vos palais embrasés.
D’autres peuples naîtront dans vos murs écrasés ;
Le nord va s’enrichir de vos pertes fatales ;
Tous vos maux sont un bien dans les lois générales !


Comme cette façon de trouver en faute la Providence plaisait fort à Voltaire, il la reprend dans la préface de son poème, et, si je cite encore quelques phrases de cette préface, c’est que la prose de Voltaire, toujours vive et piquante, fait comprendre, par le contraste, ce qui manque souvent à sa poésie. « Si lorsque Lisbonne, Méquinez, Tétuan et tant d’autres villes furent englouties avec un si grand nombre de leurs habitans au mois de novembre 1755, nos philosophes avaient crié aux malheureux qui échappaient à peine des ruines : Tout est bien ! les héritiers des morts augmenteront leurs fortunes, les maçons gagneront de l’argent à rebâtir des maisons, les bêtes se nourriront des cadavres enterrés dans les débris : c’est l’effet nécessaire des causes nécessaires ; votre mal particulier n’est rien ; vous contribuez au bien général ! — un tel discours certainement eût été aussi cruel que le tremblement de terre a été funeste, et voilà ce que dit l’auteur du poème sur le désastre de Lisbonne. »

Si Voltaire veut dire qu’il ne faut pas prêcher que tout est bien à ceux qui sortent à peine de l’éruption d’un volcan ou d’une peste, Voltaire a mille fois raison ; mais est-ce à ceux-là aussi qu’il faut prêcher que tout est mal ? Cela ne me semble guère plus raisonnable : il ne faut dire aux malheureux ni qu’ils doivent être contens, ce qui est impossible, ni qu’ils doivent être mécontens et se plaindre de la Providence, car cela leur est trop facile et ne leur servira pas à grand’chose : ils y perdront seulement la résignation, qui est le seul remède aux maux irréparables. Que leur dit donc Voltaire ? car, après avoir