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nos malheurs. Cet avenir que le proscrit invoquait avec une confiance exaltée, il va le préparer lui-même, assis aux conseils du tsar. C’est en 1812 que Napoléon avait durement repoussé les prières de Mme de Stein; deux ans plus tard, hélas! le baron de Stein, établi à Paris, administrait la France au nom des rois coalisés.


III.

Le 19 mai 1812, le prince Ernest de Hesse-Philippsthal remettait à Stein une lettre où l’empereur Alexandre l’invitait à lui communiquer ses plans, soit par écrit, soit en venant le trouver à Wilna. La guerre était alors comme déclarée. Napoléon venait d’arriver à Dresde, et il avait réuni autour de lui tous les princes de la confédération du Rhin. Les préparatifs d’Alexandre n’inspiraient pas de bien sérieuses inquiétudes : l’Europe croyait que la campagne de Russie serait terminée, comme les guerres de Prusse et d’Autriche, par quelque victoire écrasante qui déciderait de tout en quelques heures. Un autre homme que le baron de Stein eût hésité; Stein n’hésite pas ; il adresse ses remerciemens au tsar, et le 27 mai, deux jours après que Napoléon est parti de Dresde pour rejoindre la grande armée, il quitte Prague et se dirige par Lemberg et Brody vers la frontière russe.

Il arriva le 12 juin à Wilna. Le tsar avait manifesté le désir de lui donner un ministère, les finances ou l’instruction publique; Stein refuse de prendre officiellement aucune part à l’administration de la Russie; il ne s’occupera que des affaires allemandes; sa qualité d’étranger pourrait lui créer des obstacles; il ne veut pas soulever de défiances; il faut qu’il reste libre, aimé et considéré de tous, pour mener à bien son entreprise. Cette discrétion n’était pas hors de propos. Les curieux documens rassemblés par M. Pertz nous montrent la cour et le gouvernement du tsar livrés à des influences de toute sorte. Le tsar avait trente-cinq ans; il apparaît au baron de Stein comme un noble cœur, mais irrésolu et sans force. Autour de lui s’agite un état-major de princes et de généraux dont Stein nous rend les physionomies avec une singulière vigueur. Est-il un spectacle plus piquant que celui d’un homme ardent, convaincu, poursuivi d’une pensée unique, et jeté tout à coup au milieu d’une foule d’esprits ambitieux et frivoles? Telle est la situation du représentant de l’Allemagne à la cour de Russie; éclairé par l’idée qu’il porte en lui, il juge tous ces hommes avec une sagacité impitoyable; l’austère patriote devient un portraitiste plein de verve. Ici c’est le plus intime confident de l’empereur, son beau-frère, le jeune prince George d’Oldenbourg, honnête, laborieux, instruit, mais rempli pour lui-même d’une béate admiration, et persuadé qu’il est à la fois le poète, le capitaine et l’homme d’état du siècle. Là c’est le ministre des affaires étrangères, le vieux comte