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ennemis de la patrie. « Sont-ils aux gages de Napoléon? demandaient les signataires. La voix publique l’affirme; nous, nous ne saurions le dire, car l’argent n’est pas le seul mobile qui puisse pousser au mal; ce qui est certain, c’est qu’ils sont de connivence avec lui pour perdre la Prusse; c’est qu’ils sont disposés à acheter la paix par des concessions déshonorantes; c’est que, la guerre une fois déclarée, ils prendront les mesures les plus maladroites et les plus molles pour en finir plus tôt, et si vous prescrivez vous-même des préparatifs sérieux, si vous confiez l’armée à des généraux résolus, votre action sera paralysée, vos généraux seront trahis infailliblement. » Le nom du baron de Stein était parmi les signataires de ce mémoire rédigé par le grand historien Jean de Müller; on le trouve toujours à la tête de ce parti passionné qui fit taire jusqu’au bout, pendant cette fatale année 1806, tous les conseils de la raison, arracha la Prusse aux brillantes destinées que lui préparait l’empereur, et faillit la précipiter dans l’abîme.

La guerre ne fut pas longue. « L’inimitié de la France, avait dit Napoléon dans sa proclamation à l’armée, est plus terrible que les tempêtes de l’Océan. » Le 8 octobre, les troupes françaises entrent en Saxe; le 10, le prince Louis-Ferdinand est battu et tué à Saalfeld; le 14, l’armée prussienne tout entière est écrasée dans deux batailles, à Auerstaedt et à Iéna. A Iéna, l’empereur avait vaincu et dispersé les troupes du prince Hohenlohe; à Auerstaedt, le maréchal Davoust avait culbuté le corps d’armée du généralissime, le vieux duc de Brunswick, accompagné du roi. En quelques jours tout était fini, et le sort de la monarchie prussienne était entre les mains de l’empereur.

Le baron de Stein était malade à Berlin quand on reçut la nouvelle de ces désastres. Il se hâta d’envoyer à Stettin et à Koenigsberg l’argent des caisses de l’état; c’est avec ces ressources que la guerre fut continuée jusqu’à la paix de Tilsitt; un seul jour de retard eût tout perdu. Lui-même, très souffrant encore, il quitta Berlin le 20 octobre, cinq jours avant l’arrivée du maréchal Davoust, huit jours avant l’entrée triomphale de Napoléon. Le roi de Prusse, réfugié à l’extrémité de ses états, s’occupait de négocier la paix. Une conférence ministérielle eut lieu à Graudenz pour établir les propositions qui seraient faites au vainqueur; M. de Hardenberg n’y avait pas été appelé, et M. d’Haugwitz venait de donner sa démission : de tous les ministres présens à cette réunion, Stein était le plus considérable. Les conditions portées à l’empereur par les deux envoyés du roi de Prusse, M. de Zastrow et M. de Lucchesini, furent rejetées avec dédain; Napoléon fit répondre par Duroc qu’il voulait toutes les places de la Silésie et toutes celles de la Vistule, étant bien sûr, si on ne les lui livrait pas, d’y entrer en maître avant peu de jours. Il faut rendre cette justice aux conseillers de cette folle guerre, qu’ils payèrent bravement de leur personne et