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la révolution française, jaloux d’ailleurs de la puissance de l’Autriche et faisant peu de cas de la communauté allemande, commençait à ressentir profondément les atteintes portées à la patrie; il s’indignait de l’abaissement de l’Allemagne, il avait des cris d’enthousiasme pour la belle reine Louise, qui prenait un costume d’officier de dragons et passait l’armée en revue; il avait des explosions de colère contre les ministres et les diplomates. Ces passions, que le baron de Stein avait tant contribué à propager dans les masses, il en était naturellement l’organe; c’est au nom du patriotisme révolté qu’il osait parler au roi. « Sire, lui disait-il, votre gouvernement n’est pas celui d’une grande nation. Vous avez des employés, des agens, des directeurs, vous n’avez pas de ministres. La plupart des hommes qui ont votre confiance sont des traîtres ou des caractères vils. » Dans son mémoire, le baron de Stein demandait une réforme administrative en même temps que le renvoi des principaux membres du cabinet prussien. Cinq ministères devaient être constitués, la guerre, les affaires extérieures, la police générale, les revenus publics, la justice. Un conseil d’état devait écouter les rapports des ministres, et le roi déciderait après avoir pris l’avis de tous les membres. Les conseillers de cabinet rédigeraient les décrets; chaque jour les ministres seraient tenus de se réunir dans le bureau des conseillers de cabinet pour délibérer sur les affaires à porter en conseil d’état. En un mot, tout se ferait en commun; plus d’influence occulte et irresponsable, plus d’intrigues, plus de surprises possibles; rien qui pût intercepter aux yeux du roi la lumière des faits; le roi serait au centre même de l’état. L’audacieux réformateur terminait par ces paroles :


« Cette nouvelle constitution de l’état ne peut réussir qu’après l’éloignement des hommes présentement investis de la confiance royale, car ces hommes sont perdus dans l’opinion publique, et il en est même dont le nom est marqué des stigmates du déshonneur. Si sa majesté ne se décidait pas à opérer les réformes proposées ici, si le roi continuait à agir sous l’influence du même cabinet, il faut s’attendre à deux résultats inévitables : ou bien l’état se dissoudra de lui-même, ou bien il perdra son indépendance. A plus forte raison ne devra-t-on compter désormais ni sur l’estime ni sur l’affection des sujets. Les causes et les hommes qui nous ont conduits au bord de l’abîme achèveront de nous y précipiter ; ils nous feront une situation telle que le fonctionnaire intègre n’aura plus que deux partis à prendre : abandonner une place couverte d’une honte qu’il n’a pas méritée et se résigner à ne pouvoir plus rendre aucun service, ou bien prendre part avec désespoir à la confusion générale. Quiconque étudiera d’un regard attentif la dissolution de la république de Venise, la ruine de la monarchie française et de la royauté de Sardaigne trouvera sans peine dans ces faits si lumineux la justification des plus sinistres pressentimens. »


On sait que, pendant l’année 1806, le peuple de Berlin, en proie à