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février, à l’heure enfin où les passions prussiennes s’enflamment de plus en plus et étouffent à Berlin la voix des conseillers de la paix, le baron de Stein est auprès du trône l’interprète infatigable des colères du peuple et de l’armée.

Le roi de Prusse, timide, embarrassé, très porté à se défier de lui-même, avait coutume d’examiner en particulier les rapports de ses ministres, et, au lieu de les examiner seul, il faisait ce travail de concert avec son secrétaire, M. Lombard, esprit plus élégant que solide, homme de mœurs dissipées, ayant cette grâce légère qui n’est souvent que le fruit de la corruption, avec cela diplomate habile et de la race du XVIIIe siècle. Il lui avait fallu bientôt un autre secrétaire pour compléter ce conseil intime : ce fut M. Beyme, un des magistrats éminens du royaume, jurisconsulte sévère et laborieux, que séduisirent sans peine les caressantes prévenances de M. Lombard. M. Lombard était devenu, par son intimité avec le roi, un des personnages considérables de l’état. Le plus habile diplomate de la Prusse, M. le comte d’Haugwitz, sachant bien tout ce qu’on devait craindre des irrésolutions du roi, s’était attaché, avec sa grâce supérieure, à dominer M. Lombard. Tous deux d’ailleurs se ressemblaient par plus d’un point : spirituels, fins, menant de front les plaisirs et les affaires, ils n’eurent pas de peine à s’entendre, et ce fut bientôt M. le comte d’Haugwitz qui dirigea le conseil intime et gouverna Frédéric-Guillaume. C’étaient donc les partisans de la paix, les amis de l’alliance française, qui étaient seuls écoutés du souverain ; les autres n’avaient pas même le droit de parler, puisque MM. Lombard et Beyme, résumant leurs travaux, n’en prenaient que ce qui pouvait convenir à leurs vues. Toutes les fautes commises par le roi depuis un an, toutes les misères amassées sur la Prusse par la faiblesse et la duplicité de ses chefs, rendaient plus intolérable encore la situation du ministère, dépossédé de ses droits par ce conseil occulte. Le baron de Stein surtout, associé comme ministre à une politique qu’il ne pouvait combattre et qu’il maudissait, ne se faisait pas faute de dénoncer en paroles brûlantes l’influence des conseillers intimes. Le roi prêtait souvent l’oreille à ces plaintes; souvent aussi ces sollicitations hautaines déconcertaient son ame indécise, et, dans un mouvement d’impatience, il en réprimait les hardiesses.

Le 10 mai 1806, M. de Stein avait fait déposer entre ses mains, par l’entremise de la reine, un mémoire d’une singulière vigueur, et qui exprime bien les sombres frémissemens de l’opinion publique. Irrité des menées tortueuses du cabinet de Berlin, le vainqueur d’Austerlitz n’avait pas négligé les occasions d’humilier la Prusse. Par malheur, ces humiliations ne s’adressaient pas seulement à Frédéric-Guillaume III ; elles frappaient un peuple justement fier et qui n’avait pas perdu le souvenir du grand Frédéric. Ce peuple, déconcerté quelque temps par