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I.

Au bord de la Lahn, dans le duché de Nassau, s’élève un de ces châteaux de l’ancienne Allemagne, où l’on distingue encore, malgré les changemens des mœurs et les transformations successives des bâtimens, toute la physionomie d’une forteresse. C’est le château des seigneurs de Stein. Là vivait depuis des siècles une des plus vieilles familles de la noblesse franconienne. Ses traditions et ses titres remontaient aux origines mêmes de la féodalité. À toutes les grandes époques de l’histoire d’Allemagne, les barons de Stein sont à leur poste, à cheval sur les champs de bataille ou siégeant dans les conseils. Pendant tout le moyen-âge, l’empire n’a pas de serviteurs plus dévoués, la chevalerie n’a pas de soldats plus dignes. Ces fiers burgraves semblaient déjà considérer la France comme une irréconciliable ennemie. Au commencement de la guerre de cent ans, on les voit mettre leur épée au service d’Edouard III, et un siècle plus tard ils marchent contre nous dans les rangs de Charles-le-Téméraire. Les événemens de la réforme portèrent d’assez rudes coups à leur puissance ; ils avaient adopté la confession de Luther, et pendant la guerre de trente ans, au milieu de l’ardente lutte de l’Autriche contre la France et la Suède, leur situation de protestans au sein d’un pays catholique les exposa plus d’une fois à de cruelles persécutions. La diminution de leur fortune territoriale et le cours des événemens publics avaient peu à peu transformé cette forte race de seigneurs féodaux en une famille de conseillers antiques et d’administrateurs. C’est sous cet aspect que se présente à nous, vers la moitié du XVIIIe siècle, Charles-Philippe, baron de Stein, conseiller-chevalier du Rhin et conseiller intime de l’archevêque-électeur de Mayence.

C’était un homme intègre et franc, étranger aux choses de l’esprit moderne, et n’ayant subi dans l’attitude et les sentimens héréditaires de sa race que les transformations inévitables. Il passa plus de quarante ans à la cour de l’électeur, sans inimitiés, sans intrigues, aussi simple au milieu des ruses de la vie officielle que l’étaient jadis ses ancêtres à l’abri de leurs créneaux. L’administration des forêts et des haras, la chasse, les meutes, tout ce qui lui rappelait la libre vie des temps féodaux, c’était là le champ où se déployait son activité. Sa femme, Caroline Langwerth de Simmern, esprit supérieur, âme bienveillante et forte, lui avait donné dix enfans, qu’elle éleva avec une sollicitude passionnée. De ces dix enfans, sept seulement atteignirent l’âge où la société a le droit de faire appel à nos services. Quatre frères et trois sœurs composaient cette famille nourrie dans les traditions sévères des devoirs chrétiens et des sentimens chevaleresques. Deux des sœurs se