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et je me soumets après le jugement, avec reconnaissance, à la peine que vous m’imposerez. Toute ma famille en pleurs joint sa prière à la mienne. Chacun se loue, monseigneur, de votre indulgence et de la bonté de votre cœur. Serai-je le seul qui vous ait vainement imploré ? Vous pouvez d’un seul mot combler de joie une foule d’honnêtes gens, dont la vive reconnaissance égalera le très profond respect avec lequel nous sommes tous, et moi particulièrement, monseigneur, votre, etc.,

« Caron de Beaumarchais. »
« Du For-l’Évêque, ce 21 mars 1773. »


Le duc de La Vrillière est satisfait dans sa mesquine vanité ; aussi la réponse ne se fait pas attendre. Le lendemain 22 mars, le ministre envoie à M. de Sartines l’autorisation de laisser sortir Beaumarchais dans la journée, sous la conduite d’un agent de police, à la condition pour lui de rentrer chaque jour au For-l’Évêque pour prendre ses repas et coucher.

Si, par hasard, on ne trouvait pas Beaumarchais assez héroïque, je ferais remarquer que le duc de Chaulnes, prisonnier à Vincennes et dont la correspondance est également sous mes yeux, ne l’est pas davantage. Par une coïncidence assez bizarre, lui aussi a un procès à suivre, des affaires à régler, et ses lettres au duc de La Vrillière sont aussi lamentables que celles de Beaumarchais. On lui permet également de sortir sous la conduite d’un agent de police, à la condition qu’il laissera en paix son rival et qu’il n’ira pas voir Mlle Ménard malgré elle. C’est M. de Sartines qui est chargé de surveiller tous ces graves intérêts, et c’est à lui qu’aboutissent également les billets facétieux de Beaumarchais et les soupirs mésédifians du duc de Chaulnes.

Puisque ce duc s’est d’abord présenté à nous sous un aspect fâcheux, il est juste qu’avant de le quitter pour toujours, nous lui tenions compte de ce qui peut se rencontrer de bon en lui. Il battait, il est vrai, Mlle Ménard, il arrachait la perruque de Gudin et il se gourmait avec Beaumarchais ; tout cela n’est pas très aristocratique, mais voici deux billets de lui adressés à M. de Sartines, où l’on peut découvrir un fonds de résignation triste et de générosité qui nous réconcilie un peu avec cet être violent et sauvage :


« J’ai appris, monsieur, en rentrant, où était Mme Ménard. Je vous tiendrai parole et n’irai la voir que de son consentement. Je vous promets d’ailleurs qu’il n’arrivera rien entre M. de Beaumarchais et moi, si vous voulez bien lui faire dire de s’en tenir à la distance où il s’en est volontairement tenu depuis deux jours. Je compte d’ailleurs m’arranger pour partir dans un mois ou six semaines. J’espère que Mme Ménard voudra bien attendre jusque-là pour vivre avec M. de Beaumarchais et ne me faire annoncer cette nouvelle que par vous, si c’est son intention permanente d’après ce qui se passera dans l’intervalle.