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Ier arrondissement, une maison d’honnête apparence : située entre cour et jardin, elle est bien aérée, propre et silencieuse; mais à l’intérieur on trouve 21 hommes de seize à soixante ans et 17 jeunes femmes. Les malheureuses se font presque toutes une ressource de leurs désordres : « la plupart s’enivrent, et trois d’entre elles s’adonnent à ce vice à un tel point, qu’il arrive souvent au maître du garni de les charger sur son dos et de les coucher dans leur lit. » Entrons un peu plus loin chez un gargotier-liquoriste, qui loue 28 chambres ou cabinets. Celui-ci est une espèce de philanthrope qui ouvre aisément sa porte aux plus pauvres gens, et, non)content de leur faire crédit, leur donne de vieilles chaussures, de vieilles chemises, et quelquefois du pain. Ses locataires trouvent moyen de se libérer en exerçant ces métiers sans nom qui consistent à faire tourner les chevaux de bois, à ouvrir les portières des voitures, à guider les étrangers. « Quand ces commerces ne vont pas, ils se font arrêter pour deux ou trois jours afin de ne pas manquer de pain. »

En dépeignant beaucoup d’autres habitations, en restant bien au-dessous de la vérité, on aurait l’air de faire un tableau de fantaisie. Dans une maison en ruine dont les locataires des deux sexes sont des Auvergnats grossiers, à l’exception d’une femme qui se dit comtesse et prend de grands airs, « les lits ne sont jamais faits, les chambres jamais balayées; les murailles de séparation intérieure sont défoncées, des pans de murs sont tombés, les portes brisées, les carreaux cassés et raccommodés avec des morceaux de papier de toutes nuances. Les cabinets, construits avec de vieilles cloisons, sont sans jours pratiqués et par conséquent privés d’air. » Dans une autre maison signalée comme un foyer de maladies, et où se trouvent des gens qui se disent négocians, commis, confiseurs, bouchers, etc., il y a des cabinets si petits qu’une pauvre femme, nichée dans un trou obscur de cinq pieds sur trois, est obligée « de grimper sur le grabat qui l’occupe en entier, pour procéder à tous les soins qu’exigent sa personne et son ménage. » Ailleurs, ce qu’on appelle des lits sont des caisses en planches montées sur quatre morceaux de bois avec de la mauvaise paille hachée, couvertes de draps en lambeaux et de couvertures formées de morceaux de vieilles tapisseries. « point de table ni de chaises ; les portes sont faites avec des débris de caisses à savon et présentent des fentes donnant passage au seul air que l’on puisse respirer quand elles sont fermées pendant la nuit. Deux personnes couchent ensemble dans ces espèces de niches. » Ne faut-il pas une vocation bien décidée pour tenir des établissemens de ce genre? Toutefois la clientèle de ces bouges n’est effrayante que par la répulsion qu’elle inspire et par la férocité qu’on lui suppose quand on la voit par les yeux de l’imagination. En réalité, les êtres qui se laissent abrutir sont comme la bête, agressifs et cruels quand on parait les craindre, et lâches quand on les fascine par du sang-froid et de la résolution. Le logeur, comme le dompteur d’animaux, prend sur son entourage un ascendant que l’habitude fortifie de jour en jour. On a vu, dans une des chambres d’un garni à la nuit, « trois lits pour les locataires et un pour la logeuse, femme d’environ quarante ans; non-seulement elle couche au milieu des six hommes occupant les trois autres lits, lesquels s’enivrent souvent et se battent entre eux jusqu’à rester sur place, mais elle a pour compagne une bonne de vingt-huit ans qui, pendant deux mois, a partagé son lit. »