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quelques exceptions, que je signalerai plus loin, la décence et la salubrité des maisons garnies sont en rapport avec la moralité de ceux qui les occupent. Rien de plus naturel : le vice, qui est la saleté de l’ame, éprouve moins de répugnance au contact des choses immondes. Entre les 2,360 garnis visités, on en signale 922 comme étant d’honnête apparence, 958 où l’existence serait à la rigueur tolérable, 230 considérés comme insalubres, et 250 dont le séjour hideux et infect serait le plus cruel supplice pour une personne accoutumée à une vie décente.

Qui voit une chambrée d’ouvriers les voit toutes. On appelle ainsi les garnis spéciaux où se réunissent des individus de même profession et souvent de même pays. On a compté à Paris environ 500 maisons de ce genre, destinées pour la plupart à des ouvriers qui sont rarement originaires de Paris, comme les maçons, ou à ceux qui gagnent trop peu pour se meubler : on voit, par exemple, beaucoup de cordonniers et de tailleurs se mettre à la discrétion d’un logeur, homme de leur métier, qui les fait travailler. Quelques lits où l’on couche à deux, une chaise près de chaque lit, des planches et des clous au mur pour ranger les effets, constituent le mobilier d’une chambrée. Une place dans un de ces lits, une soupe le soir et le blanchissage d’une chemise par semaine coûtent de 5 à 8 francs par mois. Quelquefois, le logeur est une espèce de banquier qui avance au locataire, à gros intérêt sans doute, le petit capital nécessaire pour acheter les instrumens de son état. C’est ainsi que la plupart des musiciens ambulans, presque tous Suisses ou Savoyards, se procurent l’orgue de Barbarie avec lequel ils assourdissent les passans. Habités par des gens laborieux et rangés, les garnis spéciaux appartiennent en général à la catégorie des logemens passables; il y a pourtant des ouvriers nomades, qui, uniquement préoccupés de grossir leur pécule, vivent en commun dans des lieux infects et de la façon la plus misérable : pour ceux-ci, la saleté, qu’ils appellent de l’économie, ne paraît pas être une souffrance.

Dans les garnis au mois, toutes les professions sont mélangées; des inconnus se rencontrent dans la même chambre, et quelquefois dans un même lit, car presque toujours les lits sont disposés pour deux individus, et, suivant l’enquête, « il existe quelques garnis où se trouvent des femmes dans la même chambrée que les hommes. » Un locataire est-il arriéré, on lui signifie que ses draps ne seront plus changés, et on le laisse croupir dans la malpropreté, au risque d’infecter ses voisins. Beaucoup de femmes de mauvaise vie se réfugient dans les maisons de cette classe; les chefs d’établissement en ont regret, parce que cette clientelle éloigne les ouvriers qui n’ont pas perdu tout sentiment de décence. « Il faut bien recevoir ces créatures, répondit un logeur au reproche qu’on lui en faisait, il n’y a que celles-là qui paient ! »

Viennent ensuite les garnis à la nuit, repaires de la démoralisation effrontée ou de la plus extrême misère, deux plaies qui se rejoignent d’ordinaire et s’aggravent mutuellement. Le croirait-on? l’enquête distingue encore cinq degrés jusque dans cette catégorie infime. Il y a d’abord un certain nombre de maisons, suffisamment meublées, qui ne sont pas autre chose que des rendez-vous de débauche. Aussi le prix de location y est-il très élevé : un lit s’y paie jusqu’à v franc 50 cent, par nuit. D’autres maisons, un peu plus mal