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de la broderie est presque toujours insuffisante pour mettre celles qui s’en occupent dans de bonnes conditions d’existence. » Aux 4,430 femmes travaillant pour les confectionneurs de vêtemens d’hommes, on attribue un salaire de 1 fr. 34 cent.; mais on montre, en reproduisant le témoignage motivé des maîtres tailleurs, qu’il y a peut-être exagération de 50 pour 100. On reconnaît que, pour beaucoup d’ouvrages de femmes, le prix des façons est déplorablement abaissé. La couture des gants de tricot destinés à la troupe est payée à raison de 10 cent, la paire, et, « à moins d’être fort habile, l’ouvrière peut difficilement en coudre plus de huit paires en travaillant treize ou quatorze heures. » Il faut fabriquer douze douzaines de boîtes à allumettes pour 15 cent, et douze douzaines de jolies petites boites à épingles pour 1 fr. et quelquefois moins. Les chemises communes, dont la façon exige un jour de travail, sont payées 33 cent, sur lesquels il faut déduire 5 cent, pour la fourniture du fil. Il se fait des gilets de flanelle à 20 cent. On voit exposés dans tous les magasins de confection des gilets d’homme au prix de 3 à 4 francs : la façon en est payée, déduction faite des fournitures à la charge de l’ouvrière, 40 à 50 cent, et elle exige huit ou dix heures.

L’exiguïté de ces salaires explique suffisamment, ce me semble, la pénurie à laquelle une partie de la population féminine est condamnée. Par une étrange contradiction, l’enquête cite rarement des ouvrières réduites à des gains insuffisans sans attribuer leur détresse à des infirmités qui les paralysent ou au dérèglement de leur conduite. Le hasard me conduisit, il y a peu de temps, dans l’humble demeure d’une ouvrière en bretelles : c’était une femme ayant dépassé la cinquantaine, mais apportant encore à son travail l’ardeur et la dextérité de la jeunesse. Je l’interrogeai, suivant mon habitude, sur les usages et les ressources de son métier. Voici le résumé de mes informations : on paie actuellement 30 centimes pour le piquage et le montage d’une douzaine de paires à pattes et à boucles destinées à l’exportation; l’ouvrière doit fournir son fil, ce qui réduit le gain à 28 centimes. Pour gagner ces 28 centimes, il faut environ douze heures d’assiduité. En rentrant chez moi, j’eus la curiosité d’ouvrir l’énorme volume de l’enquête à l’article de la passementerie, et j’y lus ce jugement sur les 1,584 piqueuses de bretelles, auxquelles on attribue généreusement un salaire moyen de 84 centimes : « Les femmes n’ont un salaire si modique que parce qu’elles sont distraites de leur travail, les unes par les soins du ménage, les autres par des habitudes de dissipation. »

Ce jugement sur la conduite des femmes est comme une phrase stéréotypée, qui se reproduit en plusieurs endroits du livre. Je la retrouve mot pour mot appliquée aux casquetières. Les ouvrières de cette profession, au nombre de 3,974 femmes ou jeunes filles, réalisent, dit-on, un salaire quotidien dont la moyenne est de 1 fr. 44 cent, mais qui tombe parfois jusqu’à 50 centimes. Les malheureuses dont le gain reste inférieur à la moyenne sont celles auxquelles on attribue des mœurs suspectes. J’ai peine à concilier ce jugement sévère avec les renseignemens que me fournissent eux-mêmes les agens de l’enquête. « Depuis plusieurs années, disent-ils, on fait divers articles à des prix qui permettent de les vendre facilement à l’étranger. Ainsi il se fait des casquettes d’été au prix minime de 2 fr. 25 cent, la douzaine, des