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Pendant la marche de l’armée des Huns sur Troyes, et tout près de cette ville, Attila aperçut une pauvre veuve qui fuyait à travers la campagne avec dix filles : les aînées, déjà grandes et belles, marchaient à ses côtés; les plus jeunes trottaient sur un âne : il y en avait même une, nouvellement née, qui pendait dans un linge au cou de sa mère. Où courait ce troupeau effaré? Il allait se jeter à la rivière, pour échapper aux brutalités des Huns. Attila ordonne aussitôt qu’on les lui amène, et comme la malheureuse veuve restait prosternée la face contre terre, sans oser proférer un mot, il lui demande si toutes ces filles sont à elle, et si elle les a conçues en légitime mariage. — « Oh ! oui, dit la veuve à demi morte de frayeur; elles sont dix, et ce sont dix orphelines que je laisserai après moi. » Attila la relève, la rassure, et lui fait compter assez d’or, dit la légende, pour bien vivre et marier honnêtement ses filles. — Une autre fois, entre Vicence et Concordia (ce sont des chroniqueurs italiens qui parlent), il rencontre des bateleurs qui, posant à terre leur bagage, se mettent en devoir de le bien amuser par leurs tours : c’étaient, dit le récit, des gaillards forts et bien nourris, mais sans courage et sans connaissance des armes. Le roi, qui veut donner une leçon à ces fainéans, s’avance dans le cercle formé autour d’eux, bande son arc et abat un oiseau qui passait; puis il leur donne l’arc qu’aucun d’eux ne peut tendre. Il fait venir son cheval, le franchit d’un saut tout armé, et quand il commande aux baladins d’en faire autant, ceux-ci reculent. Alors il les fait prendre et tenir sous bonne garde, défendant qu’ils mangent autre chose que ce qu’ils auront abattu à la pointe de ses flèches. Au bout de quelques semaines, les bateleurs reparaissent devant l’armée, hâves, exténués et n’ayant que la peau sur les os, mais devenus des archers parfaits : le roi les enrôle dans ses troupes.

La plus jolie des traditions italiennes sur le bon Attila est celle qui récréait au moyen-âge les habitans de Padoue, et qu’a répétée plus d’un auteur de la renaissance. Ils racontaient qu’au temps où les Huns occupaient leur ville, après le renversement d’Aquilée, un certain poète nommé Marullus était accouru du fond de la Calabre avec un poème latin composé à la gloire d’Attila et qu’il voulait réciter devant lui. Ravis d’une circonstance qui leur permettait de fêter dignement leur hôte, les magistrats padouans préparèrent un grand spectacle où furent conviés tous les personnages notables et lettrés de la haute Italie. Déjà la foule encombrait les gradins de l’amphithéâtre, et Marullus commençait à déclamer ses vers au bruit des applaudissemens, quand le front du Barbare se rembrunit tout à coup. Le poète, suivant l’usage de ses pareils, attribuant à son héros une origine céleste, l’interpellait comme s’il eût été un dieu. — « Qu’est-ce à dire? s’écrie Attila tout