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elle est impuissante lorsqu’elle est aux mains des républicains modérés, — et quand elle est au pouvoir des conservateurs, elle tourne, malgré tout et par des voies inconnues, à la monarchie. Cela peut éclairer sur bien des idées, bien des préjugés, bien des tentatives impossibles. Cela peut montrer que la monarchie n’est pas seulement la forme essentielle de l’esprit de conservation en France, mais qu’elle est encore la condition première d’un régime modéré et facile. Cela doit prouver aussi que, lorsqu’on a cette monarchie, il ne faut pas la servir avec des fantaisies de révolution. On peut voir au prix de quelles épreuves il devient possible de remonter ce que Bossuet appelle le grand ressort de la machine. À vrai dire, de cette succession d’événemens qui se sont déroulés depuis soixante ans, quelle est Futile leçon que les gouvernemens, les partis, les oppositions, les hommes d’état ne puissent tirer ? Il y a beaucoup d’aveugles à qui l’expérience ne servira pas. Pour ceux qui pensent et qui réfléchissent, toute cette dramatique histoire est comme un van à travers lequel sont criblées toutes les idées. On peut juger celles qui ont le vrai poids et qui tiennent au cœur du pays, parce qu’elles répondent à ses instincts, à ses traditions, à ses intérêts.

Maintenant faut-il constater une fois encore, heure par heure, chaque pas que nous faisons vers la monarchie sous la forme impériale ? La réception faite au prince Louis-Napoléon à sa rentrée à Paris le 16 octobre était assurément une de ces étapes nouvelles. Toutes les présomptions accumulées, tous les symptômes, tous les indices, sont transformés aujourd’hui en certitude matérielle par le décret qui appelle le sénat à dire le dernier mot de tout ce mouvement de manifestations qui vient d’avoir lieu. C’est le 4 novembre que se réunit le sénat, et il est saisi de la question par le décret même de convocation aussi bien que par les pétitions qui se multiplient. Dans peu de jours, le vote populaire aura à ratifier le sénatus-consulte qui sera rendu. Tout annonce donc un dénoûment prochain ; à un an de date, la proclamation de l’empire aura répondu au 2 et au 20 décembre 1851, et répondra en même temps au 10 décembre 1848. Ce n’est point le résultat qui est douteux ; le seul point où il puisse y avoir quelque incertitude, c’est sur les questions qui s’élèvent naturellement à chaque transformation du pouvoir : quelles seront les conditions et les limites du régime nouveau ? Quelle sera la constitution de la France ? Sera-ce une loi fondamentale nouvelle ou la constitution du 15 janvier simplement modifiée dans le sens de la transmission héréditaire du pouvoir ? Ce sont là, on le pense, des questions auxquelles nous n’avons point charge de répondre, — pas plus, ce nous semble, que beaucoup d’autres comme nous, ou même en meilleure situation que nous, pour connaître les choses. Toujours est-il que le décret qui convoque le sénat est comme le préliminaire du rétablissement de l’institution impériale ; il achève de donner tout son sens au voyage qui se terminait le 16 octobre.

Quelques heures à peine avant sa rentrée à Paris, le prince Louis-Napoléon, par un mouvement à la fois médité et spontané, accomplissait un acte d’une autre nature, mais qui n’en a pas moins d’importante : à son passage à Amboise, il annonçait à Abd-el-Kader sa mise en liberté. L’émir est aujourd’hui à Paris, objet de l’attention et de la curiosité publique ; il visite nos églises et nos théâtres, en attendant de se rendre à Brousse, lieu d’internement fixé par