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qu’enthousiastes. « Ils ont plus d’enthousiasme que d’esprit, » disait Voltaire en mauvaise part de certains burlesques, et le mot n’a rien perdu de sa vérité d’à-propos.

Nous ne voudrions pas prolonger cette comparaison entre le bel-esprit et la fantaisie; il y a cependant chez cette dernière un trait caractéristique à noter encore : c’est qu’elle vise à s’enrichir d’une importation britannique, l’humour, bien distinct de la raillerie gauloise, aux morsures saignantes, qui fait le fond de la farce de Pathelin et de Pantagruel. L’humour est plus innocent, et l’épigramme, à laquelle il se prête volontiers, ne constitue point cependant sa raison d’être. Tel qu’il est employé par ceux qui, grâce à lui, se sont fait une réputation, il consiste surtout à mettre non moins de spontanéité dans l’énonciation des idées que dans la conception; il marche ou plutôt se précipite de faits en faits, d’observations en observations; il dédaigne l’argument et nous laisse le soin de chercher en vertu de quelle analogie telle pensée succède à telle autre, par quelle déduction l’écrivain a été amené à faire suivre ex abrupto d’un axiome burlesque une discussion sérieuse, d’un trait d’ironie un chapitre sentimental. Aussi, pour être humoriste, un jugement droit, un coup d’œil sur, une logique serrée, non de forme, mais de fond, non de mots, mais de pensée, sont des qualités indispensables, afin qu’entre les idées disparates en apparence il existe, dans l’intimité du sujet, un lien qui se puisse retrouver à la lecture. Notre langue, moins que toute autre, se prête à l’humour : elle a quelque ressemblance en effet avec cette langue universelle ou cette spécieuse de Leibnitz qui devait marquer les vices du raisonnement, comme l’algèbre indique les erreurs du calcul, en conduisant à une équation absurde. Aussi l’humour ne se rencontre-t-il guère en France que chez deux écrivains, Stendhal et Nodier : le premier, qui savait unir une grande plénitude de pensée à une grande sobriété d’expression, métamorphosa un album de voyage en un ouvrage humoristique à force d’être concis, humoristique peut-être sans préméditation; le second, grâce à l’étude approfondie qu’il avait faite de la langue française, fit de l’humour un canevas sur lequel il broda les merveilles de sa phrase ingénieuse et charmante. Or fantaisie et humour sont de nature distincte : la fantaisie rêve, évoque des ombres fugitives et de vaporeuses figures; l’autre, tout en riant, est sérieux, et, comme l’ironie socratique, se prête mal au style luxuriant et touffu. Pour que l’alliance des deux genres soit harmonieuse, il faut que le premier soit dompté par l’humour. Bien au contraire on intervertit l’ordre : on érige en souveraine la fantaisie, cette folle de l’imagination, et cela pour avoir un prétexte à sauter de la cave au grenier, un moyen de se moquer de la bonne foi que met tout lecteur à chercher dans un livre l’enchaînement des idées ; on s’élève à perte de vue à propos de l’objet le plus prosaïque du monde; des régions de la chimère, on s’élance dans celles du rêve insensé, et de l’humour on fait l’antipode du sens commun, le bref absolutoire du paradoxe ou de la divagation.

Tout ce que les réflexions précédentes renferment d’amer s’applique-t-il à l’écrivain qui nous amène et nous aidera peut-être à caractériser les fantaisistes contemporains? Non, certes. Le maître, — c’est ainsi que M. Théophile Gautier se laisse appeler, — fait preuve du moins d’une certaine force, non