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représentation, il observa le plus scrupuleux silence. La conversation de la Faustina était un feu roulant d’anecdotes curieuses, une histoire vivante de la musique contemporaine, dit Burney, qui l’a beaucoup vue à Vienne en 1772. Quoiqu’elle fût âgée alors de soixante-douze ans, elle n’avait rien perdu de la gaieté de son humeur et de la vivacité de son esprit. Elle aimait la société, s’intéressait à tout ce qui était jeune, et, sous les traces du temps, on voyait encore reluire quelques rayons de sa grâce printanière. Elle disait à Burney que ses compatriotes les Anglais n’entendaient rien à la musique, que les airs de Haendel étaient un peu rudes et n’avaient pas la douceur pénétrante de ceux de Hasse, son mari. Burney ayant prié la Faustina de lui chanter quelque chose : — Ah! non posso. dit-elle en poussant un gros soupir, ho perduto tutte le mie facolta ! j’ai perdu tous mes moyens. — Que de choses dans ce soupir de la Faustina, que de regrets et quels souvenirs!

Il existe deux portraits de la Faustina : l’un, fait à Londres, qui la représente dans tout l’éclat de la jeunesse, et dont on peut voir une reproduction dans le cinquième volume de l’Histoire de la Musique, par Hawkings; l’autre, peint par la Rosalba au pastel, qui se trouve dans la galerie de Dresde au milieu des chefs-d’œuvre de l’art italien acquis à la Saxe par la munificence du roi de Pologne Auguste III. La Rosalba était aussi une Vénitienne qui a long-temps vécu à Dresde, et dont le pinceau délicat a fixé sur la toile à peu près toutes les jolies femmes qui ont fait les beaux jours de cette cour galante.

L’époque que nous avons essayé de caractériser en racontant la vie de deux artistes trop oubliés est une des plus heureuses que présente l’histoire de la musique italienne. Né au commencement du XVIIIe siècle, quelques années avant Gluck, dont il n’a pas la passion vigoureuse, Hasse, contemporain de Keyser, de Haendel et Sébastien Bach, qui expriment quelques-unes des qualités robustes du génie allemand, se laisse entièrement éblouir et charmer par l’art mélodieux de Naples et de Venise. Son règne finit le jour où commence à poindre la gloire de Mozart, qui vient continuer cette œuvre de conciliation entre le Nord et le Midi, dont il reste la plus haute expression. Hasse est à Mozart ce que le Pérugin est à Raphaël, un précurseur doux et bénin, qui lui prépare les élémens de son style harmonieux, et dont Rossini suivra la tradition avec le brio et l’éclat incomparable d’un Titien.

Hasse et la Faustina, c’est donc la première alliance du génie allemand avec la mélodie italienne, le triomphe de l’art de chanter et le premier épanouissement du drame lyrique. Tous deux représentent l’âge d’or du sentiment, et ils brillent dans l’histoire de l’art comme ces enfans de Jupiter dont la pieuse et poétique antiquité a fait deux étoiles inséparables du firmament.


P. SCUDO.