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Faustina a rendu le dernier soupir. Il est certain du moins qu’elle est morte avant son mari. Trois enfans sont issus de ce couple célèbre, un fils et deux filles, qui n’avaient pas hérité de la grâce de leur mère. Hasse était grand, d’une forte complexion et doué d’une très belle figure; sur son front ample et placide que retracent tous ses portraits, on semble lire la droiture de son ame et la douceur de ses mélodies suaves. Il eut pourtant aussi des inégalités fâcheuses dans le caractère, et sa conduite avec Porpora, dont il a tourmenté la vieillesse, n’est pas à l’abri de tout reproche de jalousie. Sans doute le maître napolitain n’était pas d’un commerce très facile, et, en suscitant une rivale à la toute-puissante Faustina, il a dû blesser profondément l’affection de Hasse, qui a été toute sa vie le premier cicisbeo de sa femme. Qui sait ce que le pauvre Saxon a dû éprouver d’angoisses mortelles dans cette union où l’amour avait survécu au mariage, comme l’oiseau fabuleux s’échappe du bûcher qui devait le consumer? Il se peut que les caprices et les succès de la prima donna aient entretenu dans le cœur de l’époux la passion de l’amant, laquelle se serait évanouie dans une possession moins troublée.

L’amour croit s’il s’inquiète,
Il s’endort s’il est content;
Une bergère un peu coquette
Rend le berger plus constant.

Hasse a beaucoup écrit. Son œuvre, plus considérable que variée, se compose de cantates, d’oratorios, de messes, de quelques morceaux de musique instrumentale et de cent opéras au moins. Il a mis en musique tout le théâtre de Métastase, dont il ne s’est guère écarté, et, sur chaque pièce du poète italien, il a fait deux, trois et jusqu’à quatre partitions. C’est le système qu’ont suivi tous les compositeurs italiens du XVIIIe ’ siècle depuis Pergolèse jusqu’à Paisiello. — Mais quel est le caractère général de la musique de Hasse? quelle place occupe dans l’histoire de l’art ce célèbre compositeur, que le trop facile enthousiasme de l’Italie avait qualifié de caro e divino Sassone? C’est une question qu’il est temps d’aborder.

Jusqu’à la fin du XVIe siècle, la musique de tous les peuples de l’Europe avait un caractère à peu près uniforme. C’était comme une langue à peine formée, aux articulations indécises, qui ne pouvait exprimer que des velléités de l’ame, et qui avait beaucoup d’analogie avec cette langue latine sans saveur et sans précision que s’étaient forgée les érudits de la renaissance. C’est à partir du XVIIe siècle et de la naissance de la modulation, qui est presque contemporaine de l’emploi de la couleur à l’huile en peinture, que l’art musical acquiert successivement les propriétés d’un idiome vivant, qui lui permettront