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quinze ans à une inspiration artificielle; de là leur précoce épuisement. M. Gutzkow, M. Laube, M. Halm, M. Prutz, ont presque tous abandonné, à l’heure qu’il est, le théâtre, qu’ils avaient l’ambition de régénérer. Comme ils cédaient à une impulsion du dehors au lieu d’être guidés par une force intérieure, les obstacles matériels les ont bientôt rebutés. N’oublions pas, quoiqu’ils fassent peu de bruit, les rêveurs sans nombre qui, s’inquiétant peu de soumettre leurs travaux à l’épreuve de la scène, poursuivent dans le silence du cabinet le merveilleux chef-d’œuvre destiné à ouvrir l’ère nouvelle. Nulle part l’influence des théoriciens littéraires n’a été plus visible. Il y a des écrivains dont pas une pièce n’a été représentée et qui publient régulièrement leur théâtre avec une imperturbable assurance. Que leur importe le succès d’une heure? Un mystérieux problème les occupe; ils veulent découvrir une forme, un procédé, un art inconnu avant eux, un art assez puissant et assez large pour reproduire la symbolique figure du genre humain au XIXe siècle. Combien d’efforts perdus à cette chimérique entreprise! L’alchimiste acharné à la poursuite de l’or jetait moins de matières précieuses dans ses fourneaux en feu. Telle est depuis ces dernières années la situation du théâtre, tel est le résultat des théories transcendantes : soit que les écrivains travaillent pour la scène, soit qu’ils se livrent dans la retraite à des recherches bizarres, ils obéissent à cette critique passionnée qui leur promettait tant de merveilles, et se perdent avec elle dans les abstractions ambitieuses. Le seul remède, en pareille occurrence, c’est un changement complet de système et de direction. Il n’y a pas de drame nouveau à constituer, il n’y a pas d’ère supérieure à ouvrir; toutes les formes ont été tentées, et elles appartiennent toutes à l’artiste qui sait y répandre la vie; ce qui importe, c’est la vérité, c’est la nature étudiée d’un regard austère et pathétiquement reproduite. Les théoriciens ont trop long-temps disserté dans les nuages : ce qu’il faut maintenant, c’est un poète; l’exemple sera plus fécond que le précepte. Après cet incroyable abus de la métaphysique de l’art, il n’y a qu’un inventeur inspiré qui puisse ranimer la scène et produire un mouvement durable. M. Hebbel est-il préparé à un tel rôle? Il est le seul du moins qui ait assez de vigueur et de foi pour l’essayer. Les œuvres les plus remarquables qu’on ait applaudies récemment se rattachent à son inspiration : c’est le Samson de M. Gärtner et le Forestier de M. Otto Ludwig. il y a là, ce me semble, un avertissement qui mérite d’être compris. Que M. Hebbel soit ce poète dont nous parlons, qu’il s’inspire seulement de la nature, qu’il cherche la poésie dans le cœur et les entrailles de l’homme, et il entraînera bientôt les esprits loin des stériles domaines où les retenaient les rêveurs. La chose est grave et vaut bien la peine qu’on y pense. Si l’auteur de Judith ne réussit pas à se renouveler tout entier, il ne sera pas autre chose pour