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et il doit y avoir en Judée une autre race de rois. — Oui, dit la sœur d’Hérode, il reste de la vieille race une mendiante, la femme d’un charpentier; c’est à Bethléem qu’elle demeure. — Allons à Bethléem ! — Et pourquoi? dit Hérode, dont la surprise va croissant. — Pour rendre hommage au roi des rois et déposer à ses pieds tout ce que la terre a de plus précieux. — Voulez-vous un guide? reprend le tyran avec ironie. —Notre guide est là-haut; une étoile lumineuse nous a marqué la route. Nous trois qui sommes ici, nous ne nous connaissions pas; nos royaumes étaient divisés par les mers et les montagnes; cependant la même étoile nous est apparue, le même désir s’est emparé de nos cœurs, nous avons suivi le même chemin, nous nous sommes rencontrés au même but; et cet enfant dont le berceau nous a été signalé par la miraculeuse étoile, que ce soit le fils d’un roi ou le fils d’un mendiant, il sera bientôt le plus puissant des souverains; il n’y aura pas un homme sur la terre qui ne courbe le front devant lui. — Hérode est encore sous l’impression de surprise que lui causent ces paroles, quand il apprend l’exécution de Marianne; il apprend aussi, selon les dernières volontés de la reine, le secret qu’elle a confié à Titus, et un profond désespoir le saisit. Toutefois il n’y a rien de sain et de fortifiant dans la douleur qui le frappe; l’amour de Marianne, aussi bien que la jalousie d’Hérode, avait un caractère sauvage; que peut-il en sortir de bon? L’affliction et le remords, au lieu de renouveler son ame, le poussent à de nouveaux crimes :


HÉRODE. — J’ai perdu ce qu’on ne reverra plus en ce monde pendant l’éternité tout entière! C’est moi qui l’ai perdu! oh! oh! (il pleure.)

ALEXANDRA. — Aristobule, ô mon fils! tu es vengé, et moi aussi.

HÉRODE, redressant la tête. — Tu triomphes, tu me crois brisé par la douleur : tu te trompes... Je suis roi et je veux le faire sentir au monde. Levez-vous, pharisiens! révoltez-vous contre moi! (A Salomé.) pourquoi te détournes-tu, ma sœur? mon visage est encore aujourd’hui ce qu’il était hier, mais demain il se peut faire, en vérité, que ma propre mère ne me reconnaisse pas et me renie pour son fils. (Après une pause.) Si ma couronne était garnie de toutes les étoiles qui illuminent les cieux, je la donnerais pour recouvrer Marianne, et avec cela la terre entière, si elle était à moi! bien plus, si je pouvais, vivant, tel que me voici, m’enfermer dans la tombe et par là faire sortir Marianne de sa couche funéraire, je m’ensevelirais de mes propres mains. Je ne le peux pas! Soyons donc ce que nous sommes et gardons bien ce qui nous reste! Marianne morte, ce qui me reste est peu de chose... Il y a là une couronne pourtant, une couronne qui me tiendra lieu d’épouse, et quiconque essaiera d’y toucher... mais quelqu’un y prétend déjà! oui, cet enfant merveilleux que les prophètes ont annoncé depuis long-temps et qu’une étoile a introduit dans la vie! Tu as mal fait tes calculs, ô destin, si tu as cru lui frayer la route en me broyant avec tes pieds de bronze. Je suis un soldat; je lutterai même contre toi; je lutterai jusqu’au bout, et, renversé à terre.