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La destinée du drame de Geneviève confirme le jugement que nous venons de porter : Judith avait été jouée avec enthousiasme sur les principales scènes du midi et du nord; Geneviève n’a été représentée que sur le théâtre de Prague et dans une traduction en langue slave. C’est à la lecture seulement que le succès du poème s’est établi. M. Hebbel obtint peu de temps après un succès du même genre; un recueil de poésies lyriques, publié en 1843, continua de révéler, à côté des défauts les plus graves, des qualités littéraires du premier ordre. Judith est écrite en prose; Geneviève attestait, chez M. Hebbel, une grande habileté à manier la langue des vers; ses Poésies, pleines de force et de sobriété, pleines de nerf et d’éclat, sont l’œuvre d’un talent magistral. Le poète de Judith et d’Holopherne, le mystagogue singulier et hardi y reparaissait dans maintes pièces. On avait espéré que les épanchemens de la muse lyrique trahiraient plus d’une fois l’inspiration de ce rêveur étrange; on le retrouvait tout entier, éclatant et obscur, audacieux et sibyllique, portant je ne sais quelle imagination lugubre dans les fantaisies les plus gracieuses. Ses chansons, il semblait toujours y cacher une vérité redoutable; ses ballades, il en faisait des énigmes vraiment propres à troubler l’esprit, et dont on craignait de pénétrer le sens. Ne lui demandez ni la calme sérénité de Goethe, ni la poignante ironie d’Henri Heine; ce qui le distingue, c’est une aspérité inaccessible, une sorte de doctrine patricienne enfermée sous le triple sceau du symbole. Que signifie, par exemple, ce peintre dont il nous retrace si vivement le sinistre génie? « Le peintre arrive, dit le poète, et demande à faire le portrait de ma bien-aimée. Belle, souriante, elle y consent; la voilà déjà qui pose devant lui, et, à mesure qu’il reproduit sur la toile le visage de la jeune fille, ce frais visage se décolore; il peint les yeux brillans de jeunesse, et les yeux s’éteignent; il peint les joues aux nuances délicates, et les joues deviennent plus blanches qu’un suaire; il termine enfin, le chef-d’œuvre est vivant sous les dernières caresses du pinceau, et ma bien-aimée tombe morte. » Que signifie encore ce prêtre versant du poison dans le saint ciboire et le distribuant aux fidèles pour vérifier le mystère de la transsubstantiation ? Quel est le sens de cette scène inattendue où l’assassin fait la leçon au bourreau? A côté de ces bizarreries, vous lirez sans doute maintes pièces dont le sentiment est profond et ne cesse pas d’être clair: le plus grand nombre toutefois offre constamment ce même caractère, une mystérieuse pensée sous des formes émouvantes des mythes qui provoquent la réflexion sans livrer leurs secrets. Ce volume continuait de tenir l’attention en suspens; on se demandait toujours la clé de ces arcanes au milieu desquels se complaisait l’imagination du penseur.

Une comédie des plus étranges, le Diamant, appartient aussi à cette