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personne ne réponde à ces appels et que l’étoile désirée ne se lève pas ?

De tous les poètes, et le nombre en est grand, qu’ont exaltés ces mystiques espérances, un seul, jusqu’à ce jour, a vivement excité l’attention : j’ai nommé M. Frédéric Hebbel. Penseur subtil, imagination singulière, écrivain pathétique et nerveux, ses défauts, comme ses qualités, sont empreints d’une originalité incontestable. Tout ce qu’il y a chez lui de bizarreries obscures unies à une dramatique vigueur, tout ce qu’il y a d’inintelligible dans ses créations les plus mâles devait naturellement frapper l’opinion. La critique annonçait des nouveautés mystérieuses : quel poète eût mieux satisfait à ce programme? Son invention était puissante, son style plein de précision et d’énergie; il excellait à faire vibrer le choc des passions aux prises; quant à la pensée même de l’œuvre, si elle était compliquée et difficile à suivre, c’était peut-être là un des signes de l’art plus élevé que rêvaient les théoriciens. On ne se laissait donc pas rebuter par les aspérités de ses œuvres; on les étudiait, on y revenait à maintes reprises, on s’obstinait à en pénétrer les arcanes. Telle fut, dès le premier drame de M. Hebbel, l’impression que manifesta la foule. Depuis ce moment, les doutes ont pu naître; des juges sérieux se sont demandé s’ils n’étaient pas dupes, s’ils n’avaient pas affaire ici tout simplement à une nature de poète à la fois puissante et maladive. Les admirateurs de M. Hebbel ont redoublé alors d’enthousiasme. Aux yeux de beaucoup de gens, l’auteur de Judith est le Shakspeare d’une nouvelle époque, d’une époque plus agitée et plus grande que ne l’a été le siècle de la réforme. Peu à peu le débat s’est passionné; chaque œuvre du poète est aujourd’hui l’occasion d’une lutte; l’admiration ne connaît plus de bornes, et la critique a déployé ses plus sévères rigueurs. Le dédain est le seul sentiment que n’ait pas inspiré M. Hebbel; il est impossible, en blâmant ses erreurs, de méconnaître son talent et sa force. Qu’on le prenne pour le rénovateur de l’art ou pour une vivante énigme, il faut, bon gré mal gré, saluer dans ce bizarre esprit l’écrivain le plus dramatique qui ait paru en Allemagne depuis Schiller.

Le caractère si étrangement compliqué des œuvres de M. Hebbel démontre par un nouvel exemple ce que j’affirmais tout à l’heure: après les périodes lumineuses où le théâtre naît et se développe naturellement, il n’y a plus que de pénibles efforts et des créations artificielles. Seulement, chez d’autres peuples, cette vie toute factice de la littérature dramatique se révèle par des œuvres légères, par des inventions faciles, par un dilettantisme étincelant; en Allemagne, l’inspiration a beau être artificielle, elle est en même temps ardente et convaincue : c’est le caractère de ce pays de mener de front la critique et la poésie. Les mêmes hommes qui se plaisent aux plus subtils