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ses théories et surtout ses critiques. Le mouvement qui s’est produit dans la littérature dramatique en France, de 1820 à 1830, sous le nom de romantisme, n’est ni aussi nouveau ni aussi complètement anglais ou allemand qu’on l’a dit quelquefois ; il a un précurseur au XVIIIe siècle, et, quand on l’étudie sous sa première forme, soit dans les doctrines de Diderot, soit dans l’Essai sur l’art dramatique de Sébastien Mercier, publié en 1773, soit dans la polémique suscitée par la première traduction générale de Shakspeare en 1776, on reconnaît, à travers de notables différences comme théorie, que tout ce qui a été écrit sous la restauration de plus extravagant ou de plus sensé contre l’ancienne tragédie avait déjà été dit et redit au XVIIIe siècle. On reconnaît même que si ce premier mouvement d’innovation, absorbé de 1789 à 1815 par les agitations politiques et les événemens militaires de cette période, a reparu ensuite élargi et fortifié sous l’influence d’une étude plus approfondie des théâtres étrangers, il avait lui-même, à son début, exercé sa part d’action sur l’étranger. C’est ainsi qu’on voit Lessing, que les Allemands considèrent comme l’Arminius qui délivra leur théâtre de l’invasion de la tragédie française, se passionner pour les théories et les critiques de Diderot, dont il a traduit plus d’une page dans sa Dramaturgie ; c’est ainsi qu’on voit Goethe faire grand cas des déclamations anti-classiques de Mercier ; c’est ainsi enfin qu’on voit la plupart des ouvrages de l’école de Diderot traduits et joués avec succès en Angleterre et en Allemagne. Néanmoins il ne faut pas non plus s’exagérer, comme l’ont fait quelques écrivains, la valeur de ce romantisme dramatique du XVIIIe siècle. Médiocre dans ses œuvres, il est mesquin dans ses doctrines. Au lieu de se prononcer pour un système de liberté réglée par la raison, qui n’exclut rien et qui cherche à tirer parti de toutes les beautés de l’ancien système, les novateurs dramatiques du XVIIIe siècle inventent une théorie étroite, pauvre et jalouse, aussi exclusive que la précédente et n’offrant rien de son élévation et de sa grandeur : ce sont des bourgeois qui, froissés d’avoir été jusqu’ici exclus du genre sérieux et considérés uniquement comme un gibier de comédie, veulent avoir une tragédie à eux, dans laquelle ils joueront seuls et à leur manière les grands rôles, même en s’appelant M. le marquis ou M. le commandeur, et de laquelle ils expulseront à leur tour tout ce qui n’est pas eux. Tel est le sens intime et général de toutes les théories et de tous les drames qui se produisent au XVIIIe siècle[1].

  1. Un seul ouvrage, qui d’ailleurs n’était point destiné au théâtre, se détache de cette masse de drames domestiques et se présente dès 1747 comme l’embryon de ce que nous appelons aujourd’hui le drame historique : c’est le François II du président Hénault. Cet ouvrage, qui dépassait les idées du moment, ne fut point apprécié. Grimm, si enthousiaste pour les drames de Diderot, parle avec dédain de François II, qu’il