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papiers d’une date postérieure rangée au nombre des créances presque désespérées, mais la touchante sollicitude du caissier Gudin après la mort de son maître pour le moindre des billets amoureux de Pauline suffit à démontrer que cette créance doit être rangée parmi les reconnaissances non suivies d’effet, dont un assez grand nombre de femmes aimables, de poètes et de grands seigneurs ont laissé le souvenir dans les papiers de Beaumarchais. À la vérité, Pauline devint veuve un an après son mariage, et ce malheur dut nuire à l’arrangement de ses affaires. La dernière trace que je trouve d’elle dans le dossier est une lettre adressée à son cousin à la date de 1769, où elle dit, à propos de Beaumarchais : « Qu’il dorme donc en repos, il sera payé ! » C’est un peu léger à l’égard d’un homme qu’on a aimé un instant pour la vie. Pauline aurait-elle pensé par hasard que son amour valait bien après tout 24,441 livres 4 sous 4 deniers ? Il n’y aurait point à contester là-dessus ; mais, comme cette hypothèse pourrait donner à certains billets expressifs une gravité qu’il n’y faut pas chercher, je m’empresse de la repousser comme un jugement téméraire, et je conclus que si la jeune et belle créole a laissé sa dette en souffrance, c’est que son habitation de Saint-Domingue aura été expropriée par d’autres créanciers, ou saccagée par les noirs, ou engloutie par un tremblement de terre.

Tel est l’exposé exact du petit drame vrai sous l’influence duquel Beaumarchais s’exerçait à écrire des drames fictifs, car nous sommes en 1767, année où il fait son apparition au théâtre et dans la vie littéraire par le drame d’Eugénie.


II. — LES PREMIERS DRAMES DE BEAUMARCHAIS. — SON SECOND MARIAGE.

Le genre dramatique sérieux n’étant pas précisément la vocation de Beaumarchais, on est d’abord porté à se demander comment il se fait qu’il ait débuté par deux drames avant de se livrer à son véritable instinct, la comédie. En tenant compte de certaines nuances de sensibilité à la Grandisson qu’on a déjà reconnues dans ses lettres, et qui, assombries par la mésaventure intime que nous venons de raconter, ont pu contribuer à l’erreur de ses débuts, je crois que cette erreur doit surtout s’expliquer par un penchant très prononcé chez lui pour toute chose ayant l’avantage ou l’aspect de la nouveauté. Il était de ces hommes que la nouveauté attire invinciblement, comme il en est d’autres qu’elle épouvante par elle-même. En le suivant de près dans sa vie, on le voit s’enthousiasmer avec la plus grande facilité pour tous les genres d’inventions, industrielles, mécaniques, scientifiques, depuis les spécifiques des charlatans jusqu’aux aérostats, dont la direction préoccupe beaucoup sa vieillesse. Le goût de l’innovation en tout est un des traits les plus saillans de sa physionomie. Or le drame, qui a