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lampe à la main, il courait à travers les cocotiers et fouillait les buissons comme un avare qui a perdu son trésor. Des larmes coulaient sur sa barbe grisonnante; des mots incohérens s’échappaient de sa bouche. Il avait l’air d’un fou, et cependant ni ses gestes extravagans, ni son allure grotesque n’eussent provoqué le sourire sur les lèvres du passant, car rien n’est triste comme de voir pleurer un vieillard. Il est vrai que sa douleur devait être de courte durée. Fier du fardeau qu’il portait, l’éléphant Soubala ramenait d’un pas majestueux, par les sentiers déserts, la belle Mallika, arrachée aux bras de l’Arabe. Chérumal était heureux de la rendre à son père et d’avoir eu si vite l’occasion d’acquitter la dette de la reconnaissance. Il la tenait assise devant lui sur le cou de l’éléphant, sans l’interroger sur les dangers qu’elle avait courus. D’une main attentive il écartait de son visage les branches d’arbres qui pouvaient l’atteindre et respectait son silence; elle lui inspirait un attachement trop sincère pour qu’il lui parlât de son amour en un pareil moment. Il était presque honteux pour Mallika de la trouver si muette et désarmée, elle qui s’était plu souvent à le confondre et à le décontenancer par ses saillies. Quand il aperçut de loin le vieillard, sa lampe posée sur la margelle du puits, assis à terre dans un morne chagrin, Chérumal se pencha vers la jeune fille :

— Mallika, lui dit-il, lève la tête, parle, que ton père entende le son de ta voix!

La jeune fille, comme si elle se fût éveillée d’un rêve, se redressa lentement. — Tu es sauvée, Mallika, reprit le mahout, c’est moi! Ne crains rien, je t’ai enlevée à celui qui t’avait prise...

— Et qui t’a dit qu’il m’emmenait de force? répliqua la jeune fille avec l’accent du reproche.

Le pauvre Chérumal ne s’attendait point à cette réponse; il comprit que désormais Mallika devait le haïr, lui qui était si maladroitement intervenu dans une affaire qui ne le regardait pas. Tout le chagrin qu’il épargnait au vieillard retombait sur son propre cœur. Cependant il lui restait le sentiment d’avoir accompli une bonne action, et il ne se repentait pas trop de son zèle indiscret.

— Mon père, dit-il au vieillard, voici votre fille; priez-la de me pardonner... j’ai cru bien faire...

Le vieux jardinier se livrait aux élans d’une folle joie, et il ne comprit point le sens de ces paroles. Pleurant et riant à la fois, il caressait son enfant chérie. — Descends donc, criait-il à Chérumal, qui s’éloignait; viens, mon fils, mon bon Chérumal! c’est à Mallika de te remercier à son tour... Tu m’as rendu la vie, mahout; tout ce qui m’appartient est à ton service!...

Mais l’Indien disparut dans les ténèbres sans répondre.

Le lendemain, on parla beaucoup dans la ville d’Alepe du naufrage