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près du nakodah. Celui-ci l’avait enveloppée d’un long voile, et Mallika prenait pour une marque d’honneur cette précaution jalouse.

Cependant Chérumal, — car c’était lui qui rôdait avec son éléphant Soubala autour du jardin, — avait vu une ombre se glisser à travers les arbres. L’animal lui-même, au moment où le nakodah franchissait la haie, avait agité ses larges oreilles. Le mahout alarmé courut au trot jusqu’à la demeure de la jeune Hindoue, et se mit à appeler Mallika.

— Qui est là ? qui demande Mallika ? répondit le vieux jardinier.

— Votre fille est-elle près de vous, mon père ? dit respectueusement le mahout.

— Non, mon fils, répliqua doucement le vieillard ; elle sera dans quelque coin du jardin à cueillir des fruits…

Puis, réfléchissant avec inquiétude que sa fille était toujours au logis à pareille heure, il se mit à crier d’une voix émue : Mallika ! Mallika !…

— Rien ne répond, dit le mahout ; vous voyez bien qu’elle n’est pas ici ; oh ! mon père, s’il lui était arrivé quelque malheur !…

Ces paroles produisirent sur le vieillard l’effet d’un coup de massue ; il s’affaissa sur lui-même, et répéta en sanglotant le nom de sa fille bien-aimée. Chérumal ne chercha point à le consoler ; sans se rendre compte de la route qu’il prenait, il se rendit en droite ligne sur les bords du canal, au lieu où il travaillait tout le jour avec son éléphant. Le canot de l’Arabe glissait silencieusement sur les eaux, caché par les palmiers. Dès qu’il l’entendit venir, Chérumal se pencha en avant ; il lui était impossible de reconnaître et même de découvrir Mallika sous le voile qui la couvrait. En proie à une anxiété toujours croissante, il suivait du regard le mystérieux esquif et les mouvemens de l’intelligent animal qui le portait lui-même. Cette fois encore, Soubala dressa les oreilles, et Chérumal hêla le canot :

— Mallika, est-ce toi ? Réponds, au nom de ton père !

Mallika ne répondit pas ; mais le mouvement que fit la femme voilée pour se soustraire aux regards du mahout n’échappa point à l’attention de celui-ci. Il lança son éléphant dans le milieu du canal ; l’eau qui jaillit sous les pas de la lourde bête couvrit l’esquif, et peu s’en fallut qu’il ne chavirât. Les matelots donnèrent de si vigoureux coups de rame, que le petit canot fila comme une flèche ; on eût dit un poisson volant qui fuit devant un souffleur. Désespéré d’avoir manqué sa proie, Chérumal remonta sur la grève pour attendre les Arabes à leur entrée dans la mer. La barre, qui déferle tout le long de la côte, rend dangereux et difficile ce passage de l’eau douce à l’eau salée. Au moment où la vague écumante se dressait de toute sa hauteur, Mallika épouvantée jeta un cri. Les rameurs, debout sur leurs avirons, laissèrent au flot le temps de s’amortir, puis poussèrent en avant ; l’écume glissa