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humble devant elle. Celui-ci se fût jeté dans le feu pour l’en tirer; Mallika le savait bien, et elle dédaignait le dévouement d’un cœur fidèle et soumis qui ne demandait qu’à obéir! Yousouf, au contraire, avait dans son regard et dans toutes ses manières la fierté qui naît de l’audace et de l’habitude du commandement. Hardi et prudent à la fois, il se glissa près de Mallika et lui dit d’une voix ferme : Je pars demain! La jeune fille se troubla à ces paroles inattendues. Yousouf continua: — Je pars demain, veux-tu me suivre? Tu seras reine dans ma maison De Mascate, qui est un palais auprès de ta chétive cabane... Dix esclaves obéiront à toutes tes volontés. N’as-tu pas entendu parler de l’Arabie, de son heureux climat? Si tu voyais quelle demeure j’ai préparée pour toi dans mon navire!...

— Et mon père? demanda Mallika, qui voulait paraître résister encore aux illusions contre lesquelles il ne lui restait plus assez de force pour lutter.

— Ton père viendra te rejoindre, si tu le veux... L’an prochain, à mon premier voyage, je te l’amènerai, ou bien, si tu le préfères, tu viendras le chercher toi-même. Demain, Mallika, demain soir tu seras prête à partir?...

— Demain soir! répondit Mallika; pourquoi ne m’avoir pas prévenue plus tôt? Partir pour un pays lointain, inconnu!...

— Il faut que je retourne à bord, répliqua l’Arabe; je n’ai pas une minute à perdre... Demain soir, au coucher du soleil je serai ici. Réponds, Mallika, ajouta-t-il d’un ton plus doux, faut-il que je vienne?

— Viens! dit tout bas la jeune fille; — et il s’éloigna en se répétant à lui-même : Je la tiens!


VI. — LE CANOT ET LA PIROGUE.

Yousouf Ali n’était pas de la race chevaleresque des Maures de Grenade. Il éprouvait pour Mallika l’amour que ressent un pacha pour la belle esclave exposée en vente dans un bazar. Peu lui importait que la pauvre Hindoue, transportée à Mascate et enfermée entre les quatre murs d’un harem avec cinq ou six autres femmes jalouses, regrettât jusqu’à en mourir les ombrages du jardin paternel. Il avait fait briller des joyaux devant elle pour l’éblouir et la tenter, comme l’oiseleur qui fascine l’alouette à l’aide d’un miroir pour l’attirer dans ses filets. Jeune et sans expérience, Mallika avait donné dans le piège avec l’étourderie d’une enfant qui veut plaire; elle obéissait à un élan irréfléchi de son cœur, comme cela arrive souvent aux filles de l’Orient, dont l’éducation est fort négligée, et quelquefois même aux filles de l’Occident. Toute la nuit elle rêva à ce départ qui ouvrait à son