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que ceux du vieillard eussent été fixés sur elle. Cette besogne un peu rude, qui convenait à un bouvier mieux qu’à une jeune fille, Mallika s’en acquitta avec aisance et grâce. Issue d’une race à demi sauvage, élevée au grand air, elle était douée de cette vigueur précoce qui est un des charmes de l’adolescence. De bonne heure, sans y être contrainte, elle avait pris l’habitude de s’associer aux travaux paternels. Ce jour-là, elle se sentait plus active encore que de coutume; une joie inconnue faisait battre son cœur. Elle croyait n’avoir jamais tant aimé son vieux père, et, tandis qu’elle se montrait envers lui prévenante et affectueuse, une autre image passait obstinément devant ses yeux. Il lui revenait en mémoire que bien des fois déjà ce même étranger avait rôdé aux abords de sa demeure : c’était donc pour elle qu’il venait souvent errer auprès du jardin, silencieux et attentif comme si la vue des fleurs et des fruits avait pour lui un attrait irrésistible?

Dès que les buffles furent débarrassés du joug, la jeune fille courut chercher un plat de riz blanc comme la neige sur lequel elle répandit une sauce de karry saupoudrée de pimens rouges. Le vieux jardinier y plongea la main avec avidité; il en retira une grosse boule qu’il porta à sa bouche, et, tournant vers le frais visage de Mallika sa face ridée :

— Mallika, lui dit-il, tu es une bonne fille! Voilà un plat de riz qui rappellerait à la vie un mourant. Tu fais la consolation de ma vieillesse, mon enfant; tu m’entoures de soins; je ne serais plus qu’un pauvre vieillard sans force ni courage, si je ne t’avais plus!


III. — LA VILLE D’ALEPE.

Le lendemain, vers le milieu du jour, Yousouf se rendit de nouveau au jardin qu’habitait Mallika. Comme la première fois, il la trouva couchée auprès du puits. Dormait-elle réellement, ou songeait-elle les yeux fermés? Il ne perdit pas une minute à se le demander. Au bruit léger qu’il fit en franchissant la haie, Mallika ne remua pas. Yousouf, s’étant approché avec précaution, déposa à ses pieds une paire de pendans d’oreilles du même métal que le bracelet. Lorsque la jeune fille ouvrit les yeux, lorsque, d’une main furtive, elle ramassa, pour les admirer avec complaisance, ces bijoux dont elle brûlait déjà de se parer, le nakodah avait disparu. Traînant dans la poussière ses babouches de cuir jaune, une main dans sa ceinture, l’autre appuyée sur le bâton à tête recourbée qui est la houlette des anciens pasteurs de l’Yémen, l’Arabe regagnait la ville. De temps à autre, il caressait sa barbe en se souriant à lui-même. Il calculait les bénéfices de ses précédens voyages, ceux qu’il espérait faire encore, et s’épanouissait à la pensée de tous les beaux cadeaux qu’il pourrait offrir à Mallika. Pendant qu’il