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tion relative. Que faut-il pour que ce mouvement d’activité renaisse, se poursuive et s’affermisse ? Il ne faut qu’un peu de sécurité et de paix. Burke observait déjà, il y a plus d’un demi-siècle, qu’il n’y avait pas de pays qui eût en lui-même plus de ressources que le nôtre pour se relever promptement de ses désastres. C’est ce que remarquent encore les étrangers, quand ils mettent le pied sur notre sol. Seulement ils ne savent pas par quels efforts s’achètent ces retours à une vie plus normale et plus calme. Ils ne voient pas d’aussi près que nous ce qui reste à faire non-seulement au point de vue des intérêts, mais encore dans l’ordre moral et intellectuel : tandis qu’ils jouissent, en passant et en les admirant, des témoignages de notre civilisation matérielle et de notre activité renaissante, nous sentons plus vivement les blessures intérieures que laissent tant de commotions successives. La paix publique garantie et assurée, nous nous retrouvons en présence des idées à rectifier, des obscurités à dissiper, de toutes les falsifications à passer au creuset, des notions et des vérités les plus simples à ressaisir.

Les révolutions en effet ont ce triste et douloureux résultat ; elles jettent le désordre et l’ombre dans les esprits, elles énervent les intelligences, confondent les notions, changent le sens des mots et des choses, si bien qu’on finit un jour par se surprendre ayant toute une éducation nouvelle à se refaire sur les données les plus primitives, sur les rudimens mêmes de la vie politique et sociale. De là ces questions élémentaires que se posent des esprits divers : Qu’est-ce que le peuple ? qu’est-ce que le pouvoir ? Dans un pays où règne l’égalité civile la plus complète, où la noblesse n’est qu’un titre, où l’aristocratie est sans privilèges, vous imaginez peut-être que le peuple, c’est tout le monde, c’est vous et moi, c’est le propriétaire et celui qui vit de son travail, c’est l’écrivain et le commerçant. Détrompez-vous : il y a un peuple particulier à l’usage des initiés, — être mystérieux et abstrait qui ne prend corps que pour figurer dans les manifestations patriotiques et les insurrections. C’est là le véritable souverain, celui qui a droit de vie et de mort sur la société et plus encore sur les gouvernemens. Il ne faut point, par exemple, s’élever au-dessus d’un certain niveau, sans quoi vous cessez d’être peuple ; vous devenez un bourgeois ou un aristocrate, et vous perdez vos droits à la souveraineté. C’est ce sophisme démocratique qui, une fois de plus, est mis à nu et discuté, non sans talent, dans un livre ayant pour titre : Qu’est-ce que le peuple ? où l’auteur s’emploie à restituer quelques-unes des notions les plus simples sur la valeur de la raison et de l’intelligence dans le gouvernement des affaires de ce monde. Et, d’un autre côté, qu’est-ce que l’autorité ? C’est la question que se fait M. Wallon dans un opuscule intitulé le Pouvoir. Ce mot de pouvoir a subi, à coup sûr, autant d’interprétations bizarres que celui de peuple, et il ne serait pas plus facile de s’entendre sur l’un que sur l’autre. Ce n’est pas que la nature du pouvoir, ses conditions nécessaires et immuables ne soient très nettes aux yeux de quiconque réfléchit un moment : M. Wallon les fait jaillir de l’étude des choses contemporaines et les définit avec une sagacité singulière ; mais, après tant d’essais, de transformations et d’évolutions, quelle est la théorie qui n’ait point reçu un jour quelque sanglant démenti des événemens ? Les plus étranges esprits sont ceux qui nient dogmatiquement le pouvoir et poursuivent l’abolition de cette idée inhérente