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dames du chapitre, qui remuaient là-bas ciel et terre afin d’empêcher Aurore d’être abbesse. Cependant rappelons-nous le ton des lettres de la princesse palatine. C’étaient les mœurs et le goût du temps, c’en était aussi le langage. On dansait aux sons du chalumeau sur les pelouses des jardins de la résidence, et la lune éclairait ces galans seigneurs pourchassant, à travers les méandres du petit bois, les hamadryades de la cour de Mme l’électrice. Dans ces travestissemens à la mode excellait Aurore de Kœnigsmark : nulle mieux qu’elle, aux jours de sa jeunesse, ne sut jamais inventer une allégorie, former un groupe, disposer un tableau. Qu’elle apparût en druidesse ou sous le costume national des paysannes de la Dalécarlie, la ravissante Suédoise pouvait compter sur un triomphe. Un jour, déguisée en Atalante, elle défia le vieux duc de Holstein-Beck à la course, et, vingt ans plus tard, le charme inimitable de ses poses, l’harmonie de ses gestes au moment de lancer la pomme d’or, étaient encore dans tous les souvenirs de cette cour galante et raffinée.

La muse française avait alors tout crédit en Allemagne, les princes eux-mêmes s’évertuaient à la cultiver, témoin cet excellent duc de Wolfenbüttel, Antoine Ulric, et son églogue, en vingt-quatre chants, intitulée les Bergers de Mésopotamie. Quel doux et mélodieux langage parlait le tendre Artamène dans cette poétique élucubration du Théocrite couronné ! Comme on applaudissait, comme on se pâmait d’aise aux trilles de cette flûte pastorale, soupirant le sentimental sur le mode Scudéry ! Il y aurait peut-être une curieuse étude à faire de l’influence du bel esprit français dans certaines cours du Nord à cette époque. L’influence irrésistible que les mœurs espagnoles avaient Elle sur la France au temps de Louis XIII, la France l’exerçait à son tour sur l’Allemagne. Ce n’était point assez que la langue politique de l’Europe fût celle du cardinal de Richelieu : pour écrire leurs mémoires, tourner un billet, scander un quatrain, les gens du bel air ne connaissaient pas d’autre style au monde que celui de Voiture ou de Mme de Sévigné. Je conviens que toutes ces boutades n’étaient pas des chefs-d’œuvre : bien des méchans vers, bien des tristes écrits eurent alors les honneurs de l’impression, qui, sans le souverain ascendant de cette mode, n’eussent jamais vu le jour. En outre l’expression, en changeant de pays, s’altérait souvent ou se modifiait, et de ces variations, compliquées d’un certain goût propre au terroir, d’un grain de germanisme inaliénable, il résultait une sorte de littérature confuse, hétéroclite, et qui nous semble aujourd’hui pleine d’afféterie et de pauvretés.

Que j’étais autrefois un volage berger !
À tout moment, sur la fougère
J’allais de bergère à bergère
Me faire un plaisir de changer ;