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même par ses valets, dépouillée par les hommes de loi, sollicitée sans relâche par les dépenses d’un fils qui chassait de race, Mlle de Kœnigsmark dut avoir recours aux dernières extrémités. Il fallut vendre son argenterie et mettre ses diamans en gage chez le juif. Au milieu de ces tribulations horribles, sa grâce native ne se dément point, et c’est le sourire et la gaieté sur les lèvres qu’elle écrit, pauvre cœur saignant et brisé, à son royal amant des jours heureux, pour lui demander en faveur de son fils une somme qu’encore elle n’obtient pas !

Il est vrai que, vers le même temps, Frédéric-Auguste eut à subir, de son côté, les cruelles vicissitudes de la fortune. On sait les misères encourues par ce prince en qualité de roi de Pologne, et comment Charles XII, après avoir fait couronner à sa place Stanislas Leczinsky à Varsovie, s’avança vers la Saxe avec ce nouveau monarque, trophée éclatant de ses victoires. Auguste, qui n’avait ni argent ni armée à opposer à son implacable ennemi, fut contraint de signer la paix aux conditions humiliantes que le roi de Suède lui dictait, ce qui n’empêcha pas Charles XII d’entrer en Saxe et d’y lever des contributions énormes. C’en était fait de la gloire et de la renommée d’Auguste : dans la déroute du roi de Pologne allait disparaître la fortune de l’électeur de Saxe. Il s’agissait de sauver l’honneur d’un homme, d’un grand prince, de relever une ame abattue et prête à s’abandonner elle-même : noble tâche qui devait tenter une femme, une héroïne telle que Mlle de Kœnigsmark. Elle vint à Dresde rejoindre aux temps de l’adversité son infidèle amant, et ne le quitta plus. On se revit, on se retrouva seul à seul, en tête à tête ; mais, hélas ! quelle différence ! Aux badinages de l’amour, les sérieux entretiens de la politique avaient succédé. Les tendres caresses, les frivoles sermens qu’un souffle emporte avaient fait place aux graves propos, aux sévères remontrances d’une femme d’esprit et de cœur qui, voyant celui qu’elle aima sur le point de fléchir, le rappelle à la tradition de ses aïeux, aux vertus que lui imposent la gloire de sa maison et le jugement de l’avenir. La favorite d’autrefois s’était transfigurée dans la flamme de son dévouement. Le roi de Pologne montra-t-il autant de goût pour l’habile et magnanime conseillère que l’électeur de Saxe en avait eu jadis pour l’élégante et gracieuse jeune fille qui s’immolait à ses plaisirs ? On en pourrait douter d’après le caractère d’un prince égoïste et voluptueux, aussi peu porté à subir l’ascendant de l’intelligence qu’il le fut toute sa vie à se laisser entraîner par l’ivresse des sens. Mlle de Kœnigsmark, lasse de prodiguer des avis qu’on n’écoutait pas, entreprit d’agir de sa personne ; elle se fit donner une mission secrète, dicta elle-même à Frédéric-Auguste les lettres qui devaient l’accréditer, et partit au milieu de l’hiver pour Narva, où l’implacable ennemi du roi de Pologne tenait son camp.