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Bulletin du vendredi 8 janvier 1762 pour Mesdames de France.

« Du Verney n’a pu voir M. Bertin[1], qui est allé à Versailles aujourd’hui sans donner réponse à l’invitation qui lui avait été faite de le voir, mais il a vu M. de Beaumont[2] et lui a dit les choses les plus fortes sur l’injustice horrible qu’on veut faire à M. de Beaumarchais. Il l’a convaincu qu’on ne pouvait se dispenser de recevoir le jeune homme. M. de Beaumont lui a dit qu’il avait laissé M. Bertin dans l’intention d’en parler au roi, n’étant décidé ni pour ni contre le jeune homme. Du Verney pense que, si M. Bertin prévient le roi contre l’acceptation, il sera difficile de parer ce coup ; il croit que Mesdames doivent voir le ministre avant le travail et lui demander de deux choses l’une : ou qu’il expose l’affaire au roi avantageusement de manière qu’il se fasse ordonner par le roi de passer outre, nonobstant l’injuste objection des grands-maîtres, ou bien qu’il n’en parle pas encore à ce travail pour que Du Verney ait le temps d’avoir avec lui, à son retour, la même conversation qu’il a eue avec M. de Beaumont. Cependant, si Mesdames ont donné le mémoire au roi et l’ont prévenu qu’elles prenaient intérêt à la réussite et que tous les honnêtes gens espèrent que le malheureux jeune homme ne sera pas la victime de l’envie et de la calomnie, Du Verney pense que le contrôleur-général n’a pas de raisons de détruire M. de Beaumarchais et en a mille pour le servir, puisque Mesdames l’honorent de leur protection. Du Verney supplie Mesdames de vouloir bien lui faire dire ce qui aura été fait, afin qu’il agisse en conséquence. »


Le portrait que Du Verney trace plus loin du jeune Beaumarchais est encore un de ceux qui jurent passablement avec l’idée qu’on se fait en général de l’auteur du Mariage de Figaro. « Depuis que je le connais, écrit-il au ministre, et qu’il est de ma petite société, tout m’a convaincu que c’est un garçon droit, dont l’ame honnête, le cœur excellent et l’esprit cultivé méritent l’amour et l’estime de tous les honnêtes gens ; éprouvé par le malheur, instruit par les contradictions, il ne devra son avancement, s’il y parvient, qu’à ses bonnes qualités. »

Enfin Beaumarchais à son tour, après avoir épuisé les suppliques, se défend contre la persécution des grands-maîtres avec des traits d’un assez bon comique. Fatigué de s’évertuer à prouver qu’il est noble, il s’attache à démontrer que ses adversaires ne le sont pas.


« Mon goût, écrit-il au ministre, mon état, ni mes principes ne me permettent de jouer le rôle odieux de délateur, encore moins de chercher à avilir les gens dont je veux être le confrère, mais je crois pouvoir, sans blesser ma délicatesse, repousser sur mon adversaire l’arme dont il prétend m’accabler.

« Les grands-maîtres n’ont jamais permis que leurs mémoires me fussent communiqués, ce qui n’est pas de bonne guerre et montre la crainte de m’y

  1. C’est le contrôleur-général des finances.
  2. M. Moreau de Beaumont, intendant des finances, ayant sous sa juridiction les eaux et forêts.