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l’auteur de l’article, mais qu’il le tenait pour un lâche gredin. Wilkes lui envoya ce billet : « pour vous ôter, quant à l’auteur, tout prétexte d’ignorance, je vous dirai à l’oreille que tous les passages du North Briton où vous avez été nommé ont été écrits par votre humble serviteur John Wilkes. » Martin et Wilkes se battirent. Wilkes reçut une balle dans la poitrine ; mais Martin fut traité d’assassin par le public. On disait qu’il était allé au tir six mois de suite avant de défier son homme.

Wilkes était bien la guêpe faite exprès pour exaspérer des tempéramens susceptibles comme ceux de George III, de lord Bute, de Grenville. Le ministre fit saisir le quarante-cinquième numéro du North Briton, où le discours par lequel le roi avait clos la session de 1765 était violemment critiqué. Un mandat d’amener général (general warrant) fut lancé nominativement, sans désigner personne, contre tous ceux qui auraient pris part à la rédaction, à l’impression et à la publication du libelle. Wilkes fut arrêté comme auteur de l’écrit incriminé ; mais Wilkes était membre du parlement et en cette qualité inviolable : il réclama son privilège. Conduit à la Tour, il nargua le secrétaire d’état, lord Egremont, en lui demandant d’être enfermé dans la chambre où avait été placé comme jacobite le père de lord Egremont, sir William Wyndham. Pour flatter et irriter la passion populaire, il demanda aussi à n’être pas mis dans les chambres qui avaient été données aux Écossais rebelles de 1745. L’arrestation de Wilkes produisit dans Londres une émotion ardente. De grands seigneurs whigs, à la tête desquels était naturellement lord Temple, affectèrent d’aller voir Wilkes à la Tour. Lord Temple publia même en faveur de son ami une brochure contre la saisie des papiers privés. De toutes parts on s’éleva contre l’arbitraire des mandats d’amener lancés en général, sans désignation nominative de l’inculpé, contre les general warrants. La question fut promptement jugée. Wilkes invoqua la juridiction de la cour des plaids communs, à la tête de laquelle était un magistrat libéral, fervent ami de Pitt, sir Charles Pratt, qui devint plus tard lord Camdenet grand-chancelier. La foule des partisans de Wilkes encombrait la cour pendant le procès. Enfin le lord chief justice prononça l’illégalité des general warrants et ordonna la mise en liberté de Wilkes. Alors le ministère fit expulser Wilkes de la chambre des communes comme indigne et le mit hors la loi.

On sait le reste. Aux élections générales qui suivirent, Wilkes fut élu par le comté de Middlesex. La chambre, poussée par le gouvernement, cassa l’élection. Wilkes fut réélu ; la chambre, le frappant d’incapacité, admit à sa place son concurrent, qui n’avait eu qu’un nombre de voix ridicule. L’opinion de Londres se souleva contre cette usurpation parlementaire. Wilkes eut à sa disposition tous les emplois et