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SCÈNES ET MŒURS DES RIVES ET DES CÔTES.

demeura muet : son oreille ne put saisir que le léger frémissement de la bruyère agitée par le vent nocturne.

Il poussa un second cri, puis un troisième plus prolongé : cette fois, un aboiement lui répondit vers la droite.

— Avez-vous entendu, Colah ? demanda-t-il en se retournant.

— Sainte Vierge ! vous avez éveillé le chien de la lande brûlée ! répondit la jeune fille à voix basse.

Hoarne regarda dans la direction d’où venaient les aboiemens.

— Au fait, reprit-il en se parlant à lui-même, la maison des Guivarch est là-bas, vers la fente du versant, et quelque chose me dit dans le cœur que c’est là seulement qu’on peut avoir des nouvelles du cousin.

— Hélas ! j’en ai peur, murmura Nicole.

L’éclusier parut un moment indécis ; mais, frappant enfin la terre de son bâton : — pour lors, c’est de ce côté notre chemin, reprit-il d’un ton résolu ; chacun se doit à ceux de son sang. Éteignez la lanterne, Colah, et ne faites pas plus de bruit que le lièvre au gîte ; nous allons à la lande brûlée, sous la garde de la Trinité.

La jeune fille ne fit aucune objection. Un danger humain et connu ne l’épouvantait pas, surtout lorsqu’il s’agissait de porter secours à son vieux maître ; aussi marcha-t-elle sans hésitation derrière Hoarne. Pour plus de sûreté, celui-ci avait quitté le sentier battu et cherchait sa route à travers les touffes de genêts et d’ajoncs qui pouvaient le cacher au besoin. À mesure qu’il approchait de la lande brûlée, les aboiemens du chien, qui avaient d’abord continué, s’étaient transformés en hurlemens plaintifs. Nicole frissonna et prit le bras de son père. — Seigneur ! entendez-vous comme il crie la mort ? dit-elle d’une voix tremblante ; pour sûr, ceci annonce quelque malheur !

— M’est avis plutôt que ceci annonce l’absence des maîtres, répliqua l’éclusier, vu que, s’ils étaient au logis, l’animal dormirait tranquille… Mais écoutez comme il entre en male-rage !.. Que je perde mon lot de paradis, s’il n’y a pas dans la maison quelque chose qui le tourmente… Voilà que nous approchons… Colah, sur votre vie, retenez votre peur, quoi qu’il arrive ; nous ne sommes pas ici chez nous, et, après Dieu, c’est notre courage qui doit nous servir.

Ils arrivaient au revers de l’anfractuosité dans laquelle se dressait la hutte des Guivarch. La porte en était soigneusement fermée, et les hurlemens du chien s’y faisaient seuls entendre. Ils descendirent avec précaution en profitant de l’ombre que projetait un coin du coteau ; mais, au moment même où ils atteignaient la lande brûlée, une sorte de cri inarticulé sortit de la cabane. Tous deux s’arrêtèrent en tressaillant.

— Avez-vous entendu ? demanda Nicole, qui reculait.

— Oui, dit Hoarne ; mais quel est ce cri ?