Page:Revue des Deux Mondes - 1852 - tome 16.djvu/157

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
151
L’ANTIQUITÉ ET LES PÈRES DE L’ÉGLISE.

la fiction à outrance, semblables aux enfans qui sont plus touchés du merveilleux que du vrai. »

On veut des autorités, il me semble que voilà des autorités irrécusables. Le latin moderne, au compte même du savant Fleury, n’est guère mieux partagé que le grec moderne. On peut lire, il est vrai, sans trop de fatigue et de répugnance, certains poètes des siècles éclairés, Sannazar, Vida (nous ne parlons pas de Fracastor), Pontanus, Bembo, Sadolet, et les vers latins de Pétrarque et de l’Arioste : on donnerait pourtant tous ces chefs-d’œuvre pour une églogue de Virgile. Et puis tous ces poètes nouveaux sont des poètes païens, à tout prendre ; ils affectent la forme païenne, ils ont le fonds païen : il y a toujours, même dans leur invocation à la sainte Vierge, un sourire aux Muses et aux Grâces, les compagnes fidèles des hommes doctes ; doctorum virorum charités pronubœ ! Ce ne serait donc pas la peine de changer Horace pour Vida, et Virgile pour Sannazar. Il faudrait, pour que le remède fût efficace, revenir hardiment aux poètes latins du moyen-âge. Alors nous trouvons toutes sortes de rudes et sauvages esprits, plus semblables à des Sarmates qu’à des Romains d’Auguste : saint Fortunat, saint Enoch, saint Eugène de Tolède, le continuateur de Dragontius ; le vénérable Bède et le docte Vandelbert, émules et rivaux de Fulbert, et tant d’autres de la même force : Jean de Salisbury, Pierre Damien, Hildebert, Comestor, Godefroi, Pierre de Pise, Paul Warnefried. C’est à faire peur, tous ces noms, cruels même à prononcer ; l’ancien Balzac en eût été malade pour huit jours, lui qui disait : « Mieux vaut dire un peintre de l’antiquité que Parrhasius, un philosophe que Protagoras, un poète grec que Lycophron. » Il était bien dégoûté, ce Balzac ! Nous autres, avant peu, si nos seigneurs les évêques n’y eussent mis bon ordre, nous eussions été trop heureux de rencontrer, entre le poète Godescale et le poète Agobard, le poète épique Abbon, qui a laissé un poème des Normands, le poète Théodulphe et même Ermold-le-Noir, car le zèle, une fois qu’il y a du zèle en ces sortes de choses, ne sait plus où s’arrêter. On déchire la Pharsale, on va exalter l’Éventail, qui est un petit poème d’un certain diacre Florus, de l’église de Lyon. On voue au feu Perse et Juvénal, on remet en lumière les Satires de Balderic, évêque de Dol en Bretagne, et les déclamations poétiques d’Ébroïn, évêque de Poitiers, archi-chapelain du bon roi Dagobert.

Ô Voltaire, si tu étais des nôtres ! Je t’ai sauvent haï… Comme je te regrette en ce moment, toi l’esprit malin, toi la raillerie et le bon sens ! Il me semble te voir, semblable à un singe qui pèle une noix verte, épeler les poèmes d’Orfèdre, moine de Wissembourg, les drames de Hrosvita, religieuse de l’abbaye de Gandersheim dans la Basse-Saxe, les chansons du bon Notker, moine de Saiiit-Gall, en diverses mesures.