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L’ANTIQUITÉ ET LES PÈRES DE L’ÉGLISE.

donc briser sans pitié ces beaux livres qui étaient l’ornement de votre jeunesse ? Eh quoi ! vous renoncez aux jeux du théâtre, et plus de réunions, et plus d’assemblées, et plus d’élégies ? et vous croyez que vous supporterez l’ennui d’une vie si unie et si vide, si différente de celle que vous avez menée jusqu’ici ? » Voilà justement les paroles que nous entendons retentir à nos esprits troublés, lorsqu’on insulte à l’antiquité notre mère nourrice. Il nous semble qu’au même instant l’on s’attaque à tous nos plaisirs ; disons mieux, il nous semble que l’on s’attaque à nos joies les plus innocentes. Nous disons, nous autres profanes, que l’antiquité est restée, à tout prendre, la mère des bonnes actions et des bons écrits : Matrem omnium benefactorum, beneque dictorum. Nous disons avec Fénelon lui-même : « Il est bon de puiser dans les sources et d’étudier à fond les anciens. » Nous savons aussi par cœur ce vers d’un poète chrétien : « Prends garde, ami, de ne pas savoir à fond les vieux siècles et la ville éternelle. »

Ignota æternæ ne sint tibi tempera Romæ !

Nous avons été élevés ainsi par tous les maîtres : par les maîtres de l’Oratoire et par les jésuites, qui ont élevé Voltaire, et par l’Université, notre mère, alma mater. Eux-mêmes, dans leurs solitudes et quelque peu à regret, j’en conviens, les solitaires de Port-Royal ont proclamé l’excellence de ces poèmes qui avaient éveillé le génie de Racine, et lui-même, saint Augustin, il va vous le dire : « C’est être savant que d’être uni à celui qui sait. » Voilà pourquoi, dans cette dispute qui semblait tenir à l’église uniquement, tant d’hommes se sont émus, qui n’avaient pas qualité pour mettre le pied sur le terrain de tant de savans évêques, devenus, par respect même pour la tradition, les gardiens et les sauveurs des lettres antiques. « Ce ne sont pas seulement Pierre et Jean qui sont les colonnes de l’église, mais encore tous ceux qui défendent l’église de Dieu. » Nous en dirons autant des écrivains classiques. Et quand on nous répond : — « Mais, prenez garde, on n’attaque pas l’antiquité tout entière, on n’efface pas de l’intelligence moderne la langue latine et la langue grecque, la plus belle langue que les hommes aient jamais parlée. À Dieu ne plaise ! Seulement on hésite, on choisit, on cherche à remplacer ces poètes et ces philosophes dangereux. » Les remplacer, juste ciel ! et par qui comptez-vous remplacer Homère, Hésiode, Euripide, Aristophane, Horace, Virgile et Tacite, et Sénèque, et Cicéron, et Plante, et Térence, et les Dialogues de Platon où respire l’ame de Socrate ? — Hélas ! il n’est que trop facile de savoir comment ils s’appellent, et ce qu’ils ont fait pour remplacer les vrais maîtres, ces poètes et ces écrivains du nouveau choix dont personne encore n’a oui dire le nom parmi ceux qui les remettent en lu-