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députés, sur le régime intérieur des corps législatifs, sur la sûreté des personnes et des propriétés, sur l’ordre public, sur la grandesse et les titres du royaume. Dans cette nouvelle organisation constitutionnelle, le sénat devient, en partie du moins, héréditaire, l’action gouvernementale est fortifiée, l’autorité de la reine est singulièrement rehaussée, la formation de la chambre élective est entourée de garanties plus sévères. Tous ces changemens, nous n’avons pas besoin de le dire et de le montrer, correspondent à ce mouvement de transformation politique qui se poursuit dans tant de pays ; on ne saurait cependant s’en dissimuler la gravité ; il est évident que c’est là un élément puissant d’incertitude et de trouble, au moins pour quelques mois, dans l’état de l’Espagne. Que résultera-t-il de cette situation ? Il serait encore difficile de le dire. Qu’on nous permette seulement de montrer les élémens principaux de cette nouvelle phase politique dans laquelle entre l’Espagne. Ce que le cabinet de Madrid a pour lui dans cette entreprise qu’il tente, c’est qu’en réalité ses projets de réforme sont loin d’être aussi excessifs qu’on pourrait le supposer, et au fond, si ce n’étaient des considérations de personnes, il est très certainement plus d’un membre de l’opposition modérée qui y souscrirait des deux mains. Les plus essentielles garanties du régime constitutionnel restent en effet entières dans la législation nouvelle. Ce que le ministère espagnol a encore pour lui, c’est qu’aujourd’hui, en Espagne comme sur bien d’autres points de l’Europe, la lassitude de ce qui est purement politique est arrivée à un degré extrême. Il règne dans beaucoup d’esprits la plus complète indifférence sur bien des choses qui eussent mis, il y a quinze ans, les armes à la main à toute une population ; la préoccupation des intérêts matériels l’emporte sur tout le reste. Ce qui sert enfin merveilleusement le cabinet de M. Bravo Murillo dans ses desseins, c’est l’état de dissolution et de discrédit véritable où sont tombés les partis, lesquels n’ont plus le pouvoir d’enflammer le pays et de le diriger. Est-ce donc, dira-t-on, que le ministère est par lui-même beaucoup plus populaire en Espagne, et a une autorité propre plus réelle sur la masse de la nation ? Cela n’est pas sûr ; mais il agit au nom de la reine, et c’est là sa force, parce que l’autorité monarchique est restée au-delà des Pyrénées la seule puissance bien établie. C’est tout cela qui nous fait croire que le cabinet espagnol réussira dans ses plans politiques ; mais, quand il réussirait, l’entreprise qu’il tente n’en serait pas moins très sérieuse et peut-être très périlleuse. N’y a-t-il pas toujours quelque chose de grave pour un pouvoir en Espagne à rencontrer en face de lui pour premiers adversaires les défenseurs les plus éprouvés de la reine dans les heures les plus difficiles, ceux qui ont soutenu et affermi son trône ? C’est là ce qui arrive aujourd’hui. Nous savons bien que, si le ministère espagnol rencontre des obstacles, il les brisera ou les écartera : peut-être l’a-t-il déjà fait ; mais là est le danger, là est le germe de difficultés qui peuvent n’être pas vidées en un jour. En ce moment cependant, l’Espagne a d’autant plus d’intérêt à rester les mains libres sur le continent, qu’elle peut avoir, dans un délai prochain, à défendre Cuba contre l’ambition américaine. On n’a qu’à lire quelques journaux des États-Unis, on verra à quel point d’exaltation est arrivée la convoitise yankee. Chaque jour, ce sont de nouvelles menaces, de nouveaux projets, jusqu’à ce que la lutte sérieuse s’engage, et alors l’Espagne aura besoin