Page:Revue des Deux Mondes - 1852 - tome 16.djvu/1171

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

d’exécution, M. Proudhon a conçu un édifice fort large, fort homogène sous certains rapports; seulement il l’a fait à l’usage d’une humanité imaginaire qui ne serait plus régie par les lois de notre nature, et, pour le bâtir, il a compté sur un monde où toutes les choses n’auraient plus les propriétés qu’elles ont ici-bas. Son système en bloc ou plutôt la croyance qu’il a en son efficacité est simplement la somme ou le produit d’un ensemble de convictions primaires qui nous apparaissent, à nous, comme tout-à-fait gratuites. Pour démasquer le système, c’est jusqu’à ces racines qu’il faudrait aller; malheureusement les disséquer toutes nous est impossible, et il faut se borner à en citer quelques-unes.

Ainsi un de ses axiomes fondamentaux, c’est que le capital n’est qu’un intermédiaire, — et rien n’est moins vrai. Comme institution économique, il est un organe modérateur et directeur. Entre les consommateurs et les producteurs, entre les travailleurs et les travaux à exécuter, il fonctionne sans repos, pour prévenir les péchés d’action et d’omission, qui, sans lui, empêcheraient les consommateurs d’obtenir ce qu’il faut, ou qui entraîneraient les producteurs à produire ce qui resterait sans débit, ce qu’il ne faut pas. Nous sommes intéressés, par exemple, à avoir des chemins de fer, et c’est le capital, avec son droit de louage, qui représente comme nos voies et moyens à l’égard de ce besoin ; c’est lui qui est chargé d’accumuler les vastes amas de ressources qui viennent seuls à bout des vastes entreprises. Rien que pour produire en grand des clous, il faut qu’une même volonté dirige une multitude de bras et qu’elle soit obéie, quand elle donne à vingt ouvriers la tâche de filer le fer, à côté de vingt autres qui ne font que tailler les fils ou les aiguiser. Chez nous encore, c’est le capital qui sert à faire converger vers chacun de ces buts spéciaux le nombre voulu d’hommes, qui, sans cela, seraient sujets à s’éparpiller. De par son droit de commander et de par la nécessité où les travailleurs sont d’accepter ses conditions, c’est lui qui a mission d’assurer l’obéissance là où elle est urgente et où il serait à craindre qu’elle ne vînt pas spontanément. C’est lui encore qui nous rend un autre service non moins inappréciable. En permettant à beaucoup de vivre sur le rapport d’un avoir une fois acquis, il est ce qui procure à la société ses grands hommes d’état et ses grands hommes de science, les éleveurs qui dépensent des millions à améliorer les espèces bovines et les antiquaires qui dépensent leur vie à déchiffrer les hiéroglyphes du passé, les généraux qui, en sus du courage, ont le point d’honneur héréditaire ou la fermeté morale d’un esprit à larges vues, tous les hommes enfin qui, en sus de ce qu’on peut apprendre en tâchant de gagner sa vie, ont encore au service de tous ce qu’on acquiert seulement par une étude absorbante ou par les traditions d’une