Page:Revue des Deux Mondes - 1852 - tome 16.djvu/117

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
111
L’ÉMIGRATION EUROPÉENNE DANS LE NOUVEAU-MONDE

tionnaires qui déchirent nos vieilles sociétés, et ils applaudissent imprudemment à l’éloquence qui s’inspire au souvenir d’une Hongrie qui tombe ou d’une république qui s’en va. Ces impressions ne demeurent point stériles ; elles altèrent et elles altéreront de plus en plus le caractère de la politique indépendante et sage que Washington conseillait si énergiquement aux États-Unis et que le président Fillmore a dû rappeler dans son dernier message ; elles compromettent le principe de non-intervention, qui a permis à la jeune république de prendre part jusqu’à ce jour à tous les progrès en se tenant à l’écart de toutes les querelles. Non, ce ne sont pas les vrais Américains, ce ne sont pas les enfans du sol qui veulent abjurer la politique de Washington, de celui que, dans leur langage pieux, ils appellent toujours le père ; ce sont, il faut bien le dire, les Américains créés par l’immigration, les étrangers, qui cherchent involontairement à exploiter, au profit de leurs vieilles passions d’Europe, les sentimens généreux, les passions ardentes de leur nouvelle patrie. Là est le danger pour les États-Unis, et ce danger est sérieux. Il mérite la sollicitude des hommes d’état dont l’autorité est encore assez grande pour contenir cette démocratie bruyante qui naguère se pressait aveuglément sur les pas de Kossuth. Si la voix de la sagesse n’était pas écoutée, l’Amérique du Nord s’exposerait à payer cher les avantages incontestables qu’elle retire de l’immigration.


IV. — L’ÉMIGRATION DANS LES COLONIES ANGLAISES.

De toutes les contrées d’Europe, l’Angleterre est, nous l’avons dit, celle qui prend la plus grande part à l’émigration transatlantique. On a vu avec quelle énergie elle se porte vers les rivages des États-Unis, à New-York, à Philadelphie, à Boston, à Baltimore, d’où elle se répand dans les solitudes du far-west et conquiert à la culture, au commerce, à la civilisation, d’immenses territoires. Ce n’est point là pourtant que le gouvernement de la Grande-Bretagne voudrait diriger le courant d’émigration qui s’échappe de ses ports et va jeter tant de bras, tant de capitaux, tant d’élémens de richesses au sein d’une nation rivale. L’Angleterre possède de vastes colonies éparses dans toutes les parties du monde. Pourquoi l’excédant de sa population, au lieu de contribuer à la grandeur déjà menaçante des États-Unis, ne serait-il pas entraîné de préférence vers le Canada, vers l’Australie, au cap de Bonne-Espérance, partout enfin où flotte le pavillon britannique ? Les colons y retrouveraient, dans leur exil, les lois, les mœurs, le langage de la patrie, et l’Angleterre garderait ses sujets, transportés seulement sur d’autres points de son immense empire.

Une telle pensée était juste autant que féconde, elle assignait à l’émigration un rôle prépondérant dans la politique coloniale ; mais elle rencontrait dans la pratique de sérieuses difficultés. Pour l’appliquer avec succès, l’Angleterre devait combattre énergiquement l’influence d’attraction qu’exercent sur ses émigrans le voisinage et les ressources de la puissante république américaine ; elle devait intervenir, par d’intelligens sacrifices, dans ce vaste déplacement d’hommes qui lui enlève tant de bras. De là, l’émigration dirigée, subventionnée par le gouvernement, par les colonies et par les associations particu-