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confondre avec une race rivale, se concentrait particulièrement sur une portion déterminée du territoire. Ainsi la Virginie, la Pensylvanie, le Maryland et les Carolines furent d’abord peuplés par les colons anglais ; les états de New-York et de New-Jersey, par les Hollandais ; le Mississipi et la Louisiane, par les Français ; la Floride, par les Espagnols. Aujourd’hui encore, les immigrans, par une préférence très naturelle, cherchent d’abord à s’établir dans les régions où ils doivent retrouver leurs compatriotes. Ces distinctions de nationalités tendent cependant à disparaître ; elles ne subsistent que dans certaines régions du littoral ; à mesure que l’on s’avance vers l’ouest, tous les élémens sont confondus.

New-York est le point le plus important pour les arrivages d’immigrans : sa proximité de l’Europe et l’étendue de ses relations commerciales avec l’Angleterre, l’Allemagne et la France lui assurent le premier rang dans les opérations du transport. En 1849, New-York a reçu 220,000 étrangers ; en 1850,212,000 ; en 1851,289,000. Les arrivages constatés en Californie sont également très considérables ; mais il faut remarquer qu’ils se composent à la fois d’Européens, d’Américains, de Péruviens, de Mexicains. En outre, cette immigration, attirée uniquement par la fièvre de l’or, ne présente point encore le même caractère que celle dont New-York est le centre. Un jour viendra où les habitans de la Californie trouveront dans l’exploitation du sol une source de richesses plus sûre, plus honorable, et les deux cent quatre-vingt-sept millions d’acres que renferme ce territoire seront fréquentés, non plus par d’avides chercheurs d’or, mais par des colons sérieux. Alors sans doute, grâce aux progrès de la navigation, la côte occidentale de l’Amérique partagera avec la côte orientale les préférences de l’immigration agricole.

La population actuelle des États-Unis s’élève à 25 millions d’habitans, parmi lesquels on compte 22 millions de blancs et 3 millions de nègres. Quelle est, dans ce chiffre, la proportion de l’élément étranger provenant de l’immigration ? Un écrivain américain, M. Jesse Chickering, de Boston, a publié, en 1848, une brochure fort intéressante[1], dans laquelle il s’est attaché à prouver, d’après les documens statistiques, que, de 1820 à 1846, il est entré aux États-Unis 2,031,457 étrangers, et qu’en tenant compte de la reproduction naturelle, ceux-ci figuraient dans l’ensemble de la population blanche comme 7 pour 100 en 1800,18 pour 100 en 1820, et 27 pour 100 en 1840. Évidemment, depuis 1840, la population a dû atteindre au moins 35 pour 100, car l’arrivage des étrangers a été beaucoup plus considérable pendant la période décennale 1840-50 qu’à toute autre époque.

Il est un fait qu’il convient de remarquer incidemment. Les états libres (free states), c’est-à-dire ceux où l’esclavage n’existe pas, ont absorbé, de 1790 à 1840, les quatre cinquièmes de l’immigration, tandis que les états à esclaves n’en ont pris qu’un cinquième. Nous n’avons certes pas besoin d’aller chercher si loin des argumens en faveur de la liberté humaine ; pourquoi cependant ne pas signaler cette conséquence de l’esclavage, cette répulsion que paraissent éprouver les Européens à s’établir sur des territoires qui sont riches, fertiles, comblés de toutes les faveurs de la nature, mais où la loi s’obstine à

  1. Immigration into the United States, by Jesse Chickering ; Boston, 1848.