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de son intelligence, et, ne pouvant pas pénétrer dans les vrais mystères de la science, il prétendra connaître au moins ceux de la magie. Voilà pourquoi la foi aux sorciers, aux fantômes, aux formules cabalistiques, à l’art divinatoire, à toutes les superstitions du vieux paganisme, s’est maintenue si long-temps en Bohême. Le rôle exagéré attribué par ce peuple aux puissances occultes de la nature et à l’intervention permanente des génies divins dans les affaires de ce monde a laissé trace dans les vieux codes mêmes de la Bohême, où les épreuves par les élémens sont bien plus fréquentes et plus décisives que dans aucun autre code slave. On conçoit qu’en recevant les notions d’une science positive, des esprits ainsi disposés pouvaient bien vite s’enflammer d’un sombre fanatisme, surtout quand aux questions de réforme religieuse venait s’ajouter, comme ce fut le cas pour les hussites, la question de renaissance politique et de lutte nationale contre des envahisseurs étrangers.

Jean Huss, de Hussinets, prêtre de l’église de Bethléem, aux environs de Prague, vint résumer dans sa personne cette brillante apogée de la littérature bohème. Par ses fougueux sermons et ses cantiques populaires, il pénétra les étudians de Prague d’une exaltation religieuse dont l’ardeur morale n’a pu s’éteindre que dans des flots de sang. L’ami de Huss, son cher et fidèle Jérôme, par sa suave et magnétique parole, complétait la fascination et attirait à son maître le cœur des plus indifférens. Ainsi naquit dans l’histoire littéraire des Tchekhs la période hussite. Cette période, qui s’ouvre avec le XVIe siècle, va jusqu’à l’an 1629; elle se termine par la bataille néfaste de la Montagne-Blanche.

Pendant que la Bohême voyait s’épanouir, dès le XIVe siècle, l’âge d’or de sa poésie, la Pologne n’écrivait et ne pensait encore qu’en latin. Ses savans, que l’Europe plaçait déjà pourtant au premier rang. ne daignaient s’exprimer que dans la langue de Cicéron. Le premier des Jagellons avait, il est vrai, fondé, en 1400, sur le modèle de l’université de Prague et à l’aide de professeurs bohèmes, la célèbre université de Cracovie; mais les cours continuaient de se faire en langue latine. Ce n’est qu’à l’époque de la dispersion des hussites que les dissidens bohèmes, réfugiés en Pologne, y continuèrent leur polémique en s’armant de la langue vulgaire. Sans doute, l’idiome polonais sous leur plume était encore à moitié tchekh, mais leurs disciples indigènes composaient, à leur exemple et dans une langue bien plus pure, de mordantes satires théologiques et des chansons nationales, reflets bien pâles encore de celles des trouvères et des troubadours d’Occident.

Durant plus d’un demi- siècle, les hussites se défendirent vigoureusement du haut des chaires contre le savant jésuite Pierre Skarga, surnommé le Chrysostome et le Bossuet polonais, et qui a laissé vingt-neuf ouvrages, dont les plus vantés sont ses admirables sermons en polonais. Aucun des deux partis ne put se proclamer vainqueur dans cette guerre