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représentent seuls, aux yeux d’une portion du public anglais, les journalistes, avec lesquels ils n’ont pourtant presque point de rapports. C’est d’après eux qu’on juge tous les écrivains de la presse, et il n’est pas surprenant que, pour beaucoup d’esprits, le nom de journaliste rappelle ce mélange de suffisance, de prétentions ridicules et de mauvaises manières que quelques romanciers français ont attribué à la classe des commis voyageurs. Cette défaveur attachée à la presse politique est d’autant plus singulière qu’elle ne s’étend ni aux magazines, ni surtout aux revues. Gifford, Mackintosh, Jeffrey, Sydney Smith, Macaulay, Alison, non-seulement ont avoué leur collaboration aux revues anglaises, mais s’en sont toujours fait un titre d’honneur, et y ont trouvé un moyen de rapide élévation.

La législation de la presse anglaise et ses conséquences nous ont amenés jusqu’à l’époque actuelle; il est donc à propos de dire un mot des charges qui pèsent encore sur les journaux. L’impôt du timbre avait été continuellement éludé par les imprimeurs et les journalistes; néanmoins il fut un des premiers impôts que Pitt aggrava, lorsqu’il entreprit de rétablir les finances anglaises. Cet impôt devint alors tellement lourd, que la tentation de le frauder fut irrésistible pour les imprimeurs, dès qu’ils eurent la perspective d’une vente assez considérable. La révolution de juillet en France et le bill de réforme en Angleterre, en répandant une vive agitation dans tous les esprits, donnèrent une grande impulsion à la presse; le parti radical, qui se croyait triomphant, redoublait d’efforts, et inondait l’Angleterre de ses publications. Des hommes entreprenans imprimèrent journaux et brochures sur des feuilles non timbrées, les firent crier par les rues, distribuer à domicile, et, comme le droit sur chaque numéro de journal était alors de 4 pence ou 40 centimes, ils pouvaient, malgré des frais de toute sorte, donner leurs journaux à des prix trois ou quatre fois moindres que ceux des publications légales, et ils en vendaient un nombre prodigieux. En 1831, la vente d’un journal hebdomadaire de principes tout-à-fait révolutionnaires, le London Dispatch, qu’un écrivain radical, nommé Hetherington, rédigeait et vendait lui-même, et dont le prix avait été fixé à 4 sous seulement, atteignait le chiffre de 25,000 exemplaires par semaine. On évaluait à 150,000 feuilles par semaine la vente des publications non timbrées; des gens passionnés se faisaient un point d’honneur de favoriser la fraude, et, pendant quelques années, ce fut une lutte acharnée entre les adversaires du timbre et la police. Dans les trois premières années du ministère de lord Grey, il y avait eu 509 poursuites pour vente de journaux non timbrés; il y en eut 219 dans la seule année 1835, et ce nombre s’accrut encore en 1836. L’impuissance du gouvernement à réprimer la fraude était d’autant plus manifeste, qu’il y avait alors en vigueur,