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L’ÉMIGRATION EUROPÉENNE DANS LE NOUVEAU-MONDE

souvent épuisé toutes ses ressources avant d’atteindre le terme de cette première étape, et il est obligé de se dépouiller, pièce à pièce et à vil prix, de son modeste bagage : heureux encore quand le navire sur lequel il compte met immédiatement à la voile et l’emporte sans retard vers une terre meilleure !

Des trois ports anséatiques, Brème est celui qui a le premier exploité les bénéfices que l’émigration peut procurer à la marine marchande : 40,000 passagers, dont les deux tiers se dirigent vers les États-Unis, s’embarquent chaque année à bord de ses navires. Hambourg et Lubeck n’ont point tardé à suivre l’exemple de Brème, et leurs armateurs ont établi des services réguliers de paquebots à voiles et à vapeur, qui entretiennent des communications directes avec les principaux ports de l’Amérique. La traversée de Hambourg à New-York s’effectue en vingt-deux jours, et le prix du passage pour les places d’entrepont ne dépasse pas 200 francs. L’affluence des émigrans vers les mines de la Californie a donné une nouvelle impulsion à ces armemens, qui ont produit des résultats très avantageux. Anvers attire également un certain nombre de passagers. Enfin nous voyons les Allemands et les Suisses traverser la France pour gagner le Havre, où les navires américains qui nous ont apporté des balles de coton les prennent à bas prix comme cargaison de retour. C’est ainsi que, refoulée au milieu des terres, l’Allemagne peut cependant s’échapper hors de l’Europe par les cinq grands ports que nous venons de citer, et par trois mers : la Baltique, la Mer du Nord et l’Océan.

Aux yeux des armateurs et des propriétaires de navires, les émigrans ne représentent que des colis à transporter et des ressources de fret. Les ports qui sont intéressés dans ce genre de spéculations rivalisent d’efforts pour obtenir la préférence des passagers. Toutefois on dut reconnaître qu’il convenait de réglementer, à l’exemple de l’Angleterre, cette nouvelle branche de l’industrie maritime. En 1847, le sénat de Brème, et, en 1848, le grand conseil de Hambourg ont promulgué les ordonnances qui sont aujourd’hui en vigueur. Ces ordonnances, complétant les instructions antérieures, régissent toutes les phases de l’opération, depuis le jour où l’émigrant, venu des autres états de l’Allemagne, arrive sur le territoire de la ville libre, jusqu’au moment où il est débarqué au port de destination. Par une mesure de précaution dont l’expérience a démontré la nécessité, elles autorisent l’expulsion des voyageurs qui ne justifient pas de ressources suffisantes pour attendre le départ du navire. À Hambourg, si ce départ est retardé au-delà du terme fixé par le contrat d’embarquement, l’armateur est tenu de payer au passager une indemnité de séjour. La législation a pris soin de réserver, aux habitans jouissant dans l’une ou l’autre ville du droit de bourgeoisie, la faculté d’expédier des émigrans, — et aux courtiers maritimes seuls, les fonctions d’intermédiaires dans les conventions relatives aux transports. Ces restrictions permettent à la police d’exercer une surveillance efficace sur les départs, d’arrêter la fuite des criminels ou des déserteurs, et de confier à la responsabilité d’une corporation officielle, intéressée au maintien du bon ordre, la stricte exécution des règlemens qui concernent l’aménagement intérieur et les approvisionnemens du navire.

Le gouvernement belge a publié, dès 1843, un arrêté royal qui a posé les bases de la législation sur la matière, et qui a été complété par un arrêté du