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idéalise chaque objet à l’horizon. La mélancolique figure de Pétion, que le poète évoque en passant, se détache avec une certaine grandeur de ce cadre de rêverie :

Quand le ciel se dorait d’un beau soleil couchant.
Quand il voyait le soir aux brises d’Orient
Jeter les premiers plis de son écharpe noire.
Et qu’au pied du palmier quelques soldats assis.
Quelques vieux compagnons d’infortune et de gloire
Contaient leurs peines, leurs soucis ;

Il s’approchait alors, toujours pensif et sombre.
Recueillait leurs aveux, se mêlait à leur nombre.
Et parlait à chacun comme à son propre enfant.
Puis il s’en retournait triste et mélancolique;
Puis, quand la nuit venait, il la passait rêvant
Aux destins de la république.

Comme un astre pâli se plonge à l’horizon,
Il abîma son cœur en des flots d’amertume!
Et lorsqu’après sa mort on écarta l’écume.
On vit le désespoir au fond.

Rien de factice et de maniéré d’ailleurs dans ces tendances élégiaques de mon inconnu. On lui avait conté, m’a-t-on dit, que le jour même de sa naissance la mort visitait sa maison, et qu’un papillon noir s’était posé sur son berceau, double présage qu’avait soigneusement noté la crédulité créole, et qui, dans cette ame ouverte à toutes les poésies, à toutes les superstitions, était devenu un tenace pressentiment. — En effet, à vingt ans, il perdait successivement son premier né et sa jeune femme. Entre ces deux morts et la sienne, survenue peu après (1835), se placent ces vers, les derniers qu’il ait écrits :

………. Oui, l’existence humaine
Est bien nue à mes yeux.
Pas une lie de fleurs dans cette mer immense!
Pas une étoile d’or qui la nuit se balance
Au dôme de mes cieux!

Le démon tend mes nuits d’un voile de ténèbres.
Si je rêve, en rêvant j’entends des glas funèbres
Ou les soupirs d’un mort;
Un ange ne vient point me bercer et me dire
Ces paroles du ciel qui me feraient sourire
Comme l’enfant qui dort.

Non, de tout cela rien ! Vivre ou mourir, qu’importe?