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mêmes hommes qui venaient de renverser le gouvernement personnel, toutes ces mille palinodies, ces perpétuelles oppositions de principes et de faits qui sont en quelque sorte la fatalité des révolutions démocratiques, ont été relevées par M. Mullery dans une série de dialogues où le bon sel ne se fait pas trop chercher. Je n’y pourrais malheureusement faire saisir le demi-mot et l’allusion qu’en les expliquant, c’est-à-dire en les alourdissant. Ce n’est là que la moindre spécialité satirique de M. Mullery : son journal, la Revue des Tribunaux, a pour thème de prédilection les âneries judiciaires et les lapsus de dignité où tombe de temps à autre la «Thémis famélique» d’Haïti. Thémis envoie assez souvent en prison M. Mullery, qui, à peine relâché, se hâte de rattraper le temps perdu, et qui n’attend même pas toujours sa mise en liberté pour recommencer de plus belle, car on lui passe beaucoup. Le secret de cette tolérance, c’est que le journal de M. Mullery est presque exclusivement consacré aux procès de M. Mullery, procès qu’il perd neuf fois sur dix, ce qui a l’avantage de prolonger indéfiniment pour lui le privilège de mauvaise humeur accordé par l’usage au plaideur malheureux. Quoiqu’elle ne se gêne pas avec les mots, la Revue des Tribunaux recourt aussi parfois à l’allusion hiéroglyphique. Un œil grand ouvert, placé en vignette au-dessous de l’exposé de telle affaire non encore jugée, y avertit, par exemple, les juges qu’ils n’ont qu’à marcher droit. D’autres vignettes, figurant une balance, y commentent les jugemens rendus. Si par hasard M. Mullery n’a pas à se plaindre de l’arrêt, la balance est en parfait équilibre; s’il n’est qu’à demi satisfait, le fléau dévie plus ou moins de l’horizontale, et si enfin M. Mullery ou ses cliens sont condamnés en dernier ressort, les plateaux apparaissent sens dessus dessous: Cette constante préoccupation de l’intérêt ou des rancunes de son rédacteur donne aux plus sérieux comptes rendus de la Revue des Tribunaux une verve de commérage fort amusante, et qui sème çà et là par douzaines, sans chercher ni trier, sans la moindre préoccupation d’effet, les croquis et les pochades grotesques. Nous sommes, par exemple, à l’épisode le plus solennel, au moment décisif d’un procès en conspiration :


« ….. Ici des juges dorment sur leur siège, là des défenseurs dorment au barreau; d’un côté, des accusés dorment sur la sellette; de l’autre côté, les greffiers, exténués de fatigue, s’assoupissent sur leur bureau; partout les factionnaires dorment l’arme au bras; mais le président fait preuve d’une force extraordinaire; lui seul, toujours agissant, avait pu maîtriser le sommeil; il avait un surcroit d’attributions, c’était de réveiller de temps en temps les juges dormans. Le vice-président et l’accusateur militaire ne font que céder parfois à un faible assoupissement ; des officiers de service, faisant la ronde à tour de rôle, surprennent et réveillent à coups de plat de sabre les sentinelles dormantes »


Une autre fois ce n’est plus le sommeil, c’est le tambourin d’une