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VII.

Brahin. — Le château du prince Adam Wiszniowiecki.

MARINE MNISZEK, THÉRÈSE WISZNIOWIECKA, sa sœur, SOPHIE MNISZER, sa belle-sœur.


SOPHIE. — Il est vrai qu’il a le nez un peu long; mais, comme il prend soin de nous le dire, « le grand roi de France a le nez long aussi... » Vieille famille alliée aux meilleures de Pologne et de Lithuanie. Il a du bien, et à la mort de son oncle il sera très riche. Il héritera de ce beau château sur la Vistule dont ta sœur peut te parler. Enfin, pour moi, je ne vois pas de parti plus sortable.

MARINE. — Mais c’est que je le vois toujours roulant sur le sable, après s’être tant vanté de dompter ce cheval;... Puis il n’est pas palatin...

SOPHIE. — Mais moi, j’ai bien épousé ton frère Stanislas, qui n’est que staroste de Sanodzk.

MARINE. — Non, je veux un palatin comme ma sœur.

THERESE. — Mais moi, je suis ton aînée.

SOPHIE. — Palatin et jeune, c’est un mari difficile à trouver. Sa majesté fera peut-être Maluski palatin.

THERESE. — S’il te faut un palatin, que n’épouses-tu le vieil hetman de la couronne[1] Zolkiewski? Il est palatin de Kiovie et n’a pas encore soixante-dix ans. Il t’admirait fort, à la cour, au bal qui se donna pour l’ouverture de la diète.

MARINE. — Pourquoi pas, s’il voulait de moi? Je serais Mme la générale de la couronne, et j’aurais le pas sur vous deux.

THERESE. — Et un beau mari, boiteux par-dessus le marché.

MARINE. — Oui; mais il est hetman de la couronne, et le roi ouvrirait le bal avec moi.

SOPHIE. — Voyez-vous l’ambition? Savez-vous, chère princesse, pourquoi Marine ne veut pas du pane Maluski ? C’est qu’elle a ses vues sur le prince tartare.

THERESE. — Quel prince tartare?

SOPHIE. — Ce jeune veneur que votre beau-frère a pris à son service. Nous avons décidé que c’est un prince tartare déguisé, le fils de Kassim Ghereï pour le moins.

MARINE. — Ah! madame la starostine, la plaisanterie est devenue bien vieille depuis que tu l’as inventée.

SOPHIE. — Pour Tartare, cela est incontestable; il n’y a pas de mourza plus noir. Prince, je ne dis pas; mais tu as fait sa conquête.

THERESE. — Fi donc! si mon beau-frère m’écoutait, il y a long-temps que j’aurais chassé ce jeune drôle. Savez-vous qu’il m’effraie toutes les fois que je le regarde!

SOPHIE. — Qu’a-t-il donc de si effrayant?

  1. Général de l’armée de Pologne. Un autre général commandait l’armée de Lithuanie. C’étaient les deux grandes charges de la république.